Jérémie NOYER - Le Secret de Térabithia n’est pas votre première collaboration avec Disney.
Aaron ZIGMAN - J’ai travaillé en tant qu’orchestrateur sur Mulan. Le compositeur était Jerry Goldsmith, disparu il y a peu, et qui était l’un de mes compositeurs préférés. Pour ce film, j’ai arrangé et orchestré la version finale de Reflection de David Zippel pour Christina Aguilera, une chanson qui a participé à lancer sa carrière. J’ai aussi participé à Pocahontas en arrangeant pour Alan Menken la chanson If I Never Knew You en version pop. J’ai repris ses arrangements orchestraux et les ai reconstruits pour la chanteuse Shanice. Enfin, j’ai également participé en tant que pianiste à l’enregistrement de la chanson I’ll Try avec Jonatha Brooke pour Peter Pan 2 : Retour au Pays Imaginaire. Avec Le Secret de Térabithia, je signais ma première partition en tant que compositeur pour Disney !
Le réalisateur du film, Gabor Csupo, nous a confié qu’il vous avait choisi notamment parce qu’il avait été séduit par votre enthousiasme par rapport à ce projet.
J’avais lu le livre il y a longtemps et j’y ai toujours été attaché. J’aime beaucoup tout ce qui est « fantasy ». Mais plus encore, ce film associait un univers imaginaire à la réalité, au drame d’une famille qui rencontre un certain nombre de problèmes. Cela devait faire une partition particulièrement intéressante de par l’imbrication des deux univers. Dans mon métier, je n’arrête pas de faire l’aller-retour entre différents styles, entre le classique et le moderne, et le fait d’avoir à réunir tout cela dans un seul film était un défi passionnant ! Tout cela a fait que je me suis tout de suite senti très proche de ce projet, très désireux d’y participer et de m’y investir.
Comment cette association entre l’ancien et le moderne s’est-elle traduite dans votre partition ?
Gabor ne voulait pas d’une partition orchestrale basique. Bien que ma musique soit majoritairement orchestrale, j’ai aussi utilisé un certain nombre d’éléments organiques et électroniques que j’appelle des « pulsations ». C’est ainsi que le thème de Térabithia est écrit dans une mesure à 6/8 et j’ai utilisé un hammer-dulcimer, un cousin du cymbalum, pour apporter cette pulsation, souligner chaque changement d’harmonie et donner une sorte de rythme moderne en dessous d’une grande orchestration symphonique classique. Ce film m’a donc permis de faire des choses un peu atypiques, et c’est cela qui m’a plu.
On note certaines touches « country » dans des morceaux comme At the museum.
Il est vrai que j’ai utilisé le dobro ici ou là, avec des notes « americana » un peu à la Copland. C’était une façon de situer géographiquement le film en musique, mais pour moi, l’essentiel de ma partition est classique et mélodique. Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion de travailler sur des styles totalement différents et j’adore passer d’un style à un autre, du grand orchestre, avec The Battle, à la country avec Building the Fort, ou encore à l’ethnique (puisque j’ai également utilisé des instruments comme le duduk, une flûte du Proche-Orient, pour les scènes à Térabithia), ou même le pop. Mais mes goûts me poussent vers la musique symphonique française et d’Europe de l’Est, et dès que j’en ai la possibilité, je me précipite sur ce style plutôt qu’un autre. C’est mon véritable langage.
Justement, Gabor Csupo nous a dit qu’il aimait beaucoup votre façon d’orchestrer.
Je dirais qu’en matière orchestrale, je suis de la vieille école, même si j’ai une grande expérience du milieu du disque, de la musique moderne. J’ai un lien très fort avec l’orchestre et mes modèles sont des figures comme Alex North (Un Tramway nommé Désir), Max Steiner (Casablanca, Autant en emporte le vent), Bernard Herrmann (le compositeur d’Alfred Hitchcock, Ennio Morricone. Ce sont tous des gens qui ont beaucoup de cœur, et cela transparaît dans leur musique. Et Gabor, tout comme moi, c’est ce que nous recherchons dans la musique. Pour moi, le plus important, c’est la mélodie. Je suis un compositeur de mélodies. J’aime aussi travailler sur l’enchevêtrement des voix dans l’orchestre. J’adore l’impressionnisme en musique. Je suis un grand admirateur de Maurice Ravel et Claude Debussy. Je crois que si ces artistes étaient encore vivants, ce serait eux qui composeraient de la musique de film. Pas nous!
Quelle était la taille de l’orchestre que vous avez utilisé ?
J’ai utilisé plusieurs tailles d’orchestre, allant de 80 à 105 musiciens.
Cette ampleur saute aux oreilles, notamment dans des pièces comme The Battle. Mais votre partition offre également des moments de grande intimité.
Absolument. Pour ces moments, j’ai réduit l’orchestre aux cordes, agrémentées de quelques bois et d’un piano solo. C’est une large palette, avec laquelle il fut très intéressant de jouer. Vous savez, au début, Gabor ne voulait pas tant d’orchestre. Lors de nos premiers entretiens, il désirait plutôt s’orienter vers quelque chose de plus moderne. Mais vers la fin de la production, il a admis que l’orchestre, à travers ce mélange délicat d’ancien et de moderne dont nous parlions tout à l’heure, pouvait mieux aider à raconter cette histoire.
Comment avez-vous traité les différences entre le monde réel et Térabithia ?
Le monde réel est marqué par cette intimité que nous évoquions, alors que les passages à Térabithia font appel au grand orchestre. Pour l’aspect «fantasy », ma palette était délibérément plus étendue.
Comment avez-vous utilisé le chœur ?
Le chœur apparaît tant dans le monde réel qu’à Térabithia. Il fait un peu le lien entre les deux, comme un souvenir.
Quelles sont les paroles qu’il chante ?
En fait, au départ, j’ai fait venir chez moi une chanteuse pour m’aider à écrire les paroles du chœur pour le générique d’ouverture, et elle m’a donné des paroles authentiquement celtiques. Puis je me suis retrouvé seul à imaginer les paroles des autres morceaux avec chœur, et je me suis dit que cela pourrait être intéressant d’inventer mon propre langage, un langage térabithien. Il n’y a pas de sens à ces paroles. Simplement, elles imitent les accents celtiques du premier chœur.
On trouve également beaucoup de piano dans votre partition. Quel est votre rapport à cet instrument ?
Je suis pianiste de formation. C’est vraiment mon instrument. Dès que je peux glisser un peu de piano dans une musique de film, je le fais ! C’est aussi moi qui joue les parties de piano de mes partitions.
Comment composez-vous ? Utilisez-vous le synthétiseur et l’ordinateur comme la plupart de vos collègues ?
Non, je compose toujours à la main, sur papier à musique. Ce n’est qu’ensuite que je passe à l’ordinateur pour faire mes démos pour les réalisateurs. Pour cela aussi, je suis de la vieille école !
Comment avez-vous écrit vos thèmes ?
Il y a d’abord le thème principal du film, le thème de Térabithia, celui que Bryan Adams a repris pour écrire la chanson A Place For Us. Je l’ai écrit un soir dans les studios de la Fox, pendant que je mixais une autre musique. Il était minuit. Je me suis rendu dans la salle où l’on avait enregistré l’orchestre. Il n’y avait plus qu’un piano au milieu de cette immense pièce. Je n’avais signé pour Le Secret de Térabithia que depuis peu de temps -une à deux semaines- et je n’avais pas encore écrit de thème. Je me suis donc assis au piano Steinway et je me suis mis à imaginer ces enfants, jouant dans le vent, entourés de toutes sortes de petites créatures magiques, dans un monde de fantasy. Et c’est venu tout seul ! Il y a aussi un thème romantique, quand Leslie et Jess se balancent à la corde pour passer la rivière. C’est un moment important car c’est là que Jess s’ouvre à de nouvelles idées et commence à apprécier Leslie. Je me suis donc dit qu’il fallait un thème qui unisse les deux enfants, et c’est ainsi qu’on le retrouve autour de la corde ou encore quand Prince Terrien fait son apparition. Il y a enfin le thème du Darkmaster, et un thème pour la mort de Leslie.
A travers votre musique, vous avez su apporter beaucoup d’humanité et de sensibilité à la fantasy.
C’est un compliment qui me touche beaucoup. J’essaie de mettre de l’humanité dans toutes mes musiques. Je n’ai jamais eu l’intention de révolutionner le genre « fantasy ». D’autres compositeurs ont pu le traiter tout aussi bien voire mieux que moi. Mais je pense que j’ai pu apporter à cet univers ma propre voix et que cette spécificité participe de rendre ce film unique et intemporel. Prenez le thème de Térabithia, ou le thème de la corde. J’ai voulu qu’ils donnent l’impression qu’ils auraient pu être écrits en même temps que le livre, dans les années 70, ou même il y a plus longtemps encore, il y a une centaine d’années. Il y a quelque chose d’universel et d’intemporel dans ce film, et je réagis à des musiques tout aussi intemporelles, des musiques anciennes. Peu importent les éléments modernes que vous mettez dans votre musique. Pour moi ce qui compte, c’est qu’elle vous touche. Et pour moi, le meilleur moyen d’y parvenir est de le faire à travers des mélodies. C’est ce que les gens retiennent, ce qui les émeut. En ce sens, j’estime n’avoir rien fait de mieux que mes collègues compositeurs sur le plan de l’écriture. J’y ai simplement mis tout mon cœur.
Aaron ZIGMAN – Crédits :
Aaron a aussi composé la musique de Raise Your Voice de Sean McNamara, The Wendell Baker Story d’Andrew et Luke Wilson, Dance With Me de Liz Friedlander, In The Mix de Ron Underwood, Sexy Dance de Anne Fletcher, et plus récemment Flicka de Michael Mayer, 10th & The Wolf de Bobby Moresco, ATL de Chris Robinson, Akeelah and the Bee de Doug Atchison et The Virgin of Juarez de Kevin James Dobson.
Mais il a commencé bien plus tôt dans la musique, en tant que producteur, arrangeur et compositeur pour des artistes comme Christina Aguilera, Seal, Aretha Franklin, Oleta Adams, Phil Collins, Tina Turner, Patti Labelle, Chicago, The Jets, Nona Gaye, Carly Simon, les Pointer Sisters, Huey Lewis, Dionne Warwick et Jennifer Holiday. Il a collaboré à la musique des films Buster de David Green, Tina de Brian Gibson, The Birdcage de Mike Nichols, Permis de Tuer de John Glen, Fame d’Alan Parker et des films d’animation Mulan et Pocahontas.
Aaron Zigman a composé par ailleurs plusieurs pièces pour orchestres symphoniques, dont un poème musical en cinq mouvements en hommage à Yitzhak Rabin, joué par le Los Angeles Jewish Symphony. L’USC Symphony Orchestra a récemment joué Impressions, une suite pour instruments à vent.
Le sanctuaire du rêve et de l'enfance
Le réalisateur Gabor Csupo explique ainsi sa vision de Terabithia, à la fois comme monde magique, mais aussi comme lieu où les enfants peuvent affronter leurs angoisses: " Térabithia est un monde issu du plus pur imaginaire. C'est un univers sans limites, où tout est possible. Ce n'est pas seulement un endroit où les deux enfants sont les maîtres. C'est un lieu qui les aide à échapper aux problèmes qui les touchent, un sanctuaire où ils peuvent prendre du recul. Leslie et Jess se sentent exclus aussi bien à l'école qu'au sein de leurs familles respectives. Même si Térabithia est un refuge, il ne leur évite pas d'affronter ce qui les affecte : ce monde est également une métaphore de l'amitié qui les unit, un moyen pour eux de se renvoyer leurs sentiments et leur amitié au travers d'un imaginaire qu'ils partagent. Le pont est aussi chargé de symboles, c'est un passage, une façon de dire que l'imaginaire peut aussi avoir un vrai impact sur le réel. Tout ce que l'on imagine existe. "
1. I Learned from You
2. Try
3. Keep Your Mind Wide Open
4. Place for Us
5. Another Layer
6. Shine
7. Look Through My Eyes
8. Right Here
9. When You Love Someone
10. Seeing Terabithia
11. Into the Forest
12. Battle
13. Jesse's Bridge
Questions Jérémie NOYER
Merci à Tom Kid - Costa Communication.
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