STEVE & DANNY, A LA VIE A LA MORT
Steve, pouvez-vous nous dire sur quoi vous travaillez en ce moment ?
SB) Je travaille sur une œuvre de concert que Danny a créée en Février de l’année dernière au Carnegie Hall de New York avec l’American Composers Orchestra. Depuis deux semaines nous sommes en train de l’adapter et de l’enregistrer afin qu’elle puisse être utilisée maintenant comme musique d’un film Imax qui s’appellera DEEP SEA 3D et sortira vraisemblablement cet été. Pour ce faire, Danny a composé une quinzaine de minutes supplémentaires.
Comment définiriez-vous le style de cette œuvre ?
SB) Elle porte bien son nom, elle s’appelle SERENADA SCHIZOPHRENIA. C’est donc un mélange schizophrène de différents styles. Un des mouvements est une pièce très active pour deux pianos solos ; une autre est décrite pour soprano et un chœur ; un autre est une pièce très émotionnelle pour cordes seules. Un autre enfin, est un mélange de fanfares bavaroises et d’orchestre symphonique.
Avez-vous une méthode de travail particulière avec Danny Elfman ?
SB) Oui, je dirais même que j’en ai eu plusieurs car les choses ont beaucoup évoluées avec le temps et avec la technologie. Nous avons commencé tous deux avec PEE-WEE’S BIG ADVENTURE. C’était notre premier film et nous ne savions pas trop où nous mettions les pieds. Danny faisait des esquisses tandis que de mon côté je travaillais avec le monteur musique pour m’assurer que le timing fonctionnait correctement. A la fin de PEE WEE, il s’est procuré une Click-Box, ce qui fait qu’il pouvait savoir exactement s’il était synchro avec le film. Puis les ordinateurs sont arrivés et il s’est mis à travailler en écrivant ses esquisses à partir de ses maquettes numériques. La technologie évoluant, et le temps diminuant toujours, il s’est mit à ne plus faire que des maquettes à partir de samples orchestraux. Cela permet au compositeur de donner une idée la plus approchante possible du résultat final au réalisateur. Cela l’occupait tellement qu’il n’avait plus le temps d’écrire ses partitions. Ce qui se passe aujourd’hui c’est qu’il transmet ses maquettes avec toutes les informations midi de son ordinateur à son superviseur midi, Mark Mann, qui les trie et qui fait en sorte que je puisse les recevoir en tant qu’esquisse. Il faut dire que lorsque Danny compose sur son synthétiseur, il interprète en même temps sa musique, tandis que l’ordinateur écrit exactement ce qu’il joue, en tenant compte de toutes ses inflexions ce qui peut se révéler très complexe à déchiffrer dans le tempo, ce qui fait que l’ordinateur. Marc débroussaille tout cela, me le transmet. Mon rôle ensuite consiste à adapter cette partition électronique de sorte qu’elle sonne au mieux avec un véritable orchestre. Le problème avec cette méthode de travail, c’est que l’ordinateur n’est pas très précis en ce qui concerne le phrasé et l’articulation, ce qui fait que je dois souvent appeler Danny pour qu’il m’explique comment se découpent ses thèmes. Pour CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE, c’est ainsi que nous avons travaillé, par échange de coups de fil et d’emails. Pour HULK et SPIDERMAN, je l’ai accompagné à toutes ses réunions avec le réalisateur car nous avions encore moins de temps que d’habitude et il fallait que je sache les modifications que souhaitaient les deux réalisateurs, le plus rapidement possible ce qui évitait de repasser par la maquette pour opérer ces changements.
Après vingt ans de bons et loyaux services, quel regard portez vous sur votre collaboration avec Danny Elfman ?
SB) Travailler avez Danny est toujours intense car il est attentif à chaque détail. Mais c’est aussi toujours très amusant parce qu’avec lui il y a toujours de l’humour dans le studio. Il peut y avoir des problèmes, le temps peut venir à manquer, mais au final on se dit toujours qu’on s’est bien amusés !
Dans une interview, Danny Elfman confiait qu’il vous considérait comme son « ombre ».
SB) Nous avons joué dans le même groupe de rock pendant 25 ans. Cela crée des liens ! Et le fait est que, bien souvent, et notamment en studio d’enregistrement, chacun a tendance à finir les phrases de l’autre ! Nous savons comment chacun de nous fonctionne et nous avons la capacité d’anticiper sur les choix de l’autre. Ceci dit, sur un plan strictement personnel, les choses ont un peu changé depuis Oingo Boingo. Nous avons des vies distinctes, avec chacun sa famille. Ce qui fait que chaque fois que nous nous retrouvons sur un projet, ce sont des réelles retrouvailles, comme les deux meilleurs amis du monde, ce qui ajoute au plaisir de travailler ensemble !
STEVE BARTEK, LE TICKET D’OR POUR DANNY ELFMAN
Dans les albums de Danny Elfman, vous êtes crédité en tant qu’orchestrateur superviseur. Pouvez vous nous expliquer votre rôle ?
SB) C’est le meilleur titre que nous ayons trouvé au fil des ans, ne sachant pas comment nommer concrètement ma fonction auprès de Danny. Au début de notre collaboration, j’orchestrais les films de Danny entièrement moi-même. Mais, le nombre de productions augmentant et le temps à leur consacrait diminuant, j’ai du faire appel de plus en plus à des collègues pour m’aider. A partir de là c’est à moi de m’occuper d’eux. Mais par-dessus tout, j’ai la responsabilité d’organiser les sessions et de trier les orchestrations de telle sorte que chaque session rassemble toutes les partitions demandant la même taille d’orchestre. Ce titre est une sorte de reconnaissance de mon travail qui va au delà de ce que fait une orchestrateur classique.
Quelle est votre marge de manœuvre en matière d’orchestration ?
SB) Cela dépend des films. Au début de notre collaboration, Danny n’était pas encore très équipé et il me donnait des indications générales du genre : « j’aimerais que cela sonne comme du Copland ». A moi ensuite de me débrouiller avec cela. Mais aujourd’hui, avec la technologie et les maquettes qu’il réalise, il est beaucoup plus spécifique dans ce qu’il veut. Mon rôle maintenant est plus de m’assurer que ce que Danny a composé à l’ordinateur sonnera bien à l’orchestre.
Comment répartissez vous le travail entre les différents orchestrateurs ?
SB) C’est toujours très difficile. Dans le meilleur des cas, je fais appel à deux orchestrateurs avec lesquels j’ai l’habitude de travailler : Edgardo Simone et David Slonaker. J’adore la façon d’Edgardo d’orchestrer les choses modernes et un peu bizarres tandis que David excelle dans l’apport de textures particulières. Mais la réalité n’est pas aussi simple. Quand on en arrive aux deux dernières semaines de production, il s’agit plutôt de ne pas perdre du temps et de faire en sorte que tous les orchestrateurs soient occupés avec la musique qui arrive. Moi-même, j’aimerais me mettre de côté toutes les musiques que je préfère, mais il faut être plus pragmatique.
Quelles sont les musiques que vous préférez orchestrer ?
SB) Au début, je préférais les musiques d’action, mais aujourd’hui, mes goûts vont plutôt vers les musiques les plus fantaisistes et les plus mélodiques.
Quel est votre rôle durant les sessions ?
SB) C’est vraiment là que je deviens l’ombre de Danny. Quand il entend la musique, le réalisateur dit à Danny ce qu’il en pense et les éventuelles modifications qu’il souhaite. Généralement, je m’assoie à côté de Danny qui traduit les idées du réalisateur en musique et me les transmet. C’est alors que j’en discute avec lui, que j’organise tout cela et que je vais en parler au chef d’orchestre. C’est une sorte de chaîne et je suis au milieu. Je suis une sorte d’intermédiaire, un « facilitateur ». Je dois aussi m’assurer, lorsque Danny doit réécrire une pièce, que les musiciens ne restent pas inactifs et qu’il y a toujours un morceau prêt à enregistrer. Enfin, quand il y a un peu d’électricité dans l’air, c’est à moi d’essayer d’apaiser les tensions !
Parmi tous les films du duo Burton/Elfman, lequel préférez vous ?
SB) Je dirais EDWARD AUX MAINS D’ARGENT, car c’était une musique très différente de ce que nous avions fait par le passé, même pour Tim. C’était à la fois sérieux et drôle et nous avions utilisé le chœur de façon inédite. Le célesta et les deux harpes venaient sur le devant de la scène. Le résultat était vraiment très spécial.
VOUS PRENDREZ BIEN UNE RIVIERE DE CHOCOLAT POUR LE DESSERT ?
Comment s’est passée la production de CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE ?
SB) Ce fut un projet assez long car tout a commencé très tôt avec les chansons, à peu près un an avant la production de la musique. La majeure partie du travail préliminaire a été réalisée par Danny dans son studio afin que les acteurs puissent chanter sur le bon rythme. Ce n’est qu’à l’époque où nous allions travailler à la partition que je suis arrivé sur les chansons, que nous les avons retravaillées puis enregistrées à Londres en deux fois. La première fois, nous avons enregistré la rythmique (batterie, basse et guitares), avec des instruments ethniques (sitars et tablas). La deuxième fois, ce fut le tour de la fanfare et des cordes pour la chanson d’Augustus Gloop. Danny voulait une fanfare (marching band), mais comme ils n’en avaient pas en Angleterre, nous nous sommes rabattus sur une fanfare de lycée. L’idée était de donner l’impression musicale de musiciens de rue comme on peut en trouver à Calcutta, et malgré plusieurs essais, cela n’a jamais fonctionné avec des musiciens professionnels. On aurait pu demander à des musiciens de studios de jouer faux comme ces ensembles indiens, mais demander à des pros de jouer faux ne donne pas le même résultat que de demander à des amateurs de jouer du mieux qu’ils peuvent ! Puis ce fut le tour de la production de la partition.
Avez-vous travaillé directement avec Tim Burton ?
SB) Non, pas sur ce film. Pour CHARLIE, Tim était à Londres. Danny et lui n’ont pratiquement communiqué que par internet. Il n’est venu ici que deux fois, en fin de production.
Pouvez-vous nous parler des différentes chansons de CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE ?
SB) Comme je vous l’ai dit, la majeure partie de leur production a été réalisée par Danny lui-même. C’est le cas, notamment, de la chanson de bienvenue de Willy Wonka, qui était si réussie en démo qu’elle fut gardée quasiment telle quelle, à ceci près qu’elle fut remixée afin de lui donner un peu plus de relief qu’en démo. Ensuite, chaque chanson devait avoir un style différent. Je n’ai pas travaillé sur Violet Beauregard. Danny a collaboré ici avec Bruce Fowler, qui fut le tromboniste de Frank Zappa et qui a collaboré notamment au ROI LION et à CHICAGO pour lequel je lui ai demandé d’être trombone solo. Sur cette chanson, il a fait un travail formidable car ce style très cuivré et très R’nB lui correspondait très bien. Veruca Salt quant à elle est plus proche du style des Birds ou des Mamas and Papas. Son orchestration est très pop, très simple, avec une flûte solo. Pour le reste, nous avons testé différentes approches de la guitare, live et synthétiques, que nous avons empilées en couches. C’est Edgardo qui s’en est occupé. Les deux chansons auxquelles j’ai participé étaient celle d’Augustus Gloop dont nous avons parlé, et celle de Mike Teavee. Cette dernière est un mélange original de Queen et de Beatles dans une approche assez agressive !
Il y eut également un gros travail sur les voix des Oompas Lumpas, toutes chantées par Danny Elfman.
SB) En effet. La partie chantée de chaque chanson est le résultat de centaines de voix de Danny retravaillées, et chaque chanson possède son propre mélange, son propre timbre afin de bien les différencier, tout comme pour l’orchestration.
Quel est le concept général de l’orchestration de la musique du film ?
SB) Comme vous avez pu le remarquer, l’interprétation du livre qu’a faite Tim Burton est plus sombre que pour un film pour enfants traditionnel. C’est le cas du monde réel, traité tout en couleurs froides, mais également pour la chocolaterie, qui, en dépit de couleurs vives, n’en conserve pas moins un côté obscur. De fait, l’orchestration du film va dans le même sens, notamment au niveau de l’utilisation des trombones. En effet, nous ne les avons pas utilisés de façon explosive et festive comme c’est le cas le plus souvent, mais plutôt en tant que couleur grave.
On note également certains timbres « industriels », notamment dans l’ouverture du film.
SB) Absolument. Au début de chaque production, Danny joue avec ses samples et crée des loops qui sont ensuite intégrés à la partition enregistrée avec un orchestre classique. C’est ce que vous entendez au début du film. C’est aussi le cas des sonorités synthétiques très seventies que l’on retrouve ici et là et qui permettent d’unifier chansons et partitions.
On comprend l’utilisation d’instruments ethniques dans la séquence du maharadjah et de son palais de chocolat, mais on retrouve d’autres références de ce type en d’autres moments moins « exotiques » de la partition, notamment autour du très germanique Augustus Gloop, ce qui peut sembler paradoxal.
SB) Beaucoup de choses sont parties de cette chanson. Au départ, c’est l’idée de Bollywood qui a vraiment motivé l’ensemble du projet, puis les choses ont évolué et se sont diversifiées. Mais le fait est que c’est un style qui est très important pour Danny. Et c’est encore une fois pour des raisons de cohérence, mais aussi de sens du lieu (Inde, Maroc, Japon), que nous avons fait appel à ces instruments. Ce n’est pas comme dans HULK, dans lequel le duduk et la voix égyptienne faisaient partie intégrante de la texture musicale et donnaient cette impression d’ailleurs, dans le désert.
CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE semble un peu moins mélodique que les autres films de Danny Elfman. Est-ce un recul en matière thématique ?
SB) Cela vient du fait que le thème principal du film est davantage basé sur les percussions que sur les cordes. C’est un mouvement, une texture, mais qui revient régulièrement dans le film. Cela n’entame en rien l’attachement de Danny au thématisme. Il s’assure toujours que ses films ont un thème principal avec un contre thème, ainsi qu’un ou deux thèmes pour les personnages. Dans la partition de CHARLIE, il a réemployé les motifs de chaque personnage joués en introduction de chaque chanson. Il est aussi toujours très important pour lui que tous ces thèmes puissent fonctionner de concert et puissent être adaptés de façon triste ou gaie en fonction des situations. Sur CHARLIE, je pense que c’est toujours le cas, mais le fait est que ses variations peuvent être passablement éloignées du thème de base à tel point qu’on puisse avoir des difficultés à le reconnaître.
LORSQUE JACK & SALLY CROISENT VICTOR & EMILY…
CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE possède des chansons, tout comme CORPSE BRIDE, et L’ETRANGE NOËL DE MR. JACK. Cependant, les styles en sont très différents. Est-ce aussi le cas de leur processus de création ?
SB) Les choses furent différentes pour Charlie car il s’agissait de chansons pop. De ce fait, nous les avons produites comme on le ferait pour un disque de variété, avec différentes couches sonores que l’on superpose. NOCES FUNEBRES et L’ETRANGE NOËL furent traités comme des comédies musicales, comme un accompagnement orchestral à des parties vocales. Dans ces deux cas, l’intégration des chansons dans la partition fut très simple car les chansons naissent vraiment de la partition et la prolongent. Le fait est que nous avons enregistré les chansons dans le même temps que la partition car les orchestrations étaient les mêmes. Ce n’était pas des entités séparées comme dans CHARLIE où chaque chanson possède un univers sonore bien à elle.
La filiation entre NOCES FUNEBRES et L’ETRANGE NOËL est d’ailleurs assez évidente.
SB) Il est vrai qu’on compte davantage de similarités que de différences entre les deux films.
Dans les deux cas nous avons fait appel à un petit orchestre d’une soixantaine de musiciens et parfois moins. Les textures que Danny a utilisé sont aussi très similaires et presque essentiellement live. Pour autant que je me souvienne seuls l’orgue et le clavecin, qui reviennent assez souvent dans le film proviennent de ses synthétiseurs. En tant qu’orchestrateur, c’était très intéressant, dans la mesure où l’orchestre dans les deux cas avait beaucoup plus d’importance que d’habitude. Et c’était plus simple à orchestrer pour moi car c’était un son purement orchestral. Il ne fallait pas faire de la place pour des éléments extérieurs. Et comme, pour ces raisons, NOCES FUNEBRES fût aussi plus facile à enregistrer, nous avons mis une session de moins que prévu pour le faire !
Avez-vous réutilisé des orchestrations de L’ETRANGE NOEL qui vous plaisaient dans NOCES FUNEBRES ?
SB) Ce n’est pas ainsi que je procède. Je ne regarde par en arrière, j’essaye de servir au mieux les idées de Danny. S’il est vrai que l’on retrouve dans NOCES FUNEBRES certaines couleurs de L’ETRANGE NOEL comme le célesta, ce n’est en rien un retour en arrière. C’est un instrument qui fait tout simplement partie du vocabulaire de Danny, de son identité sonore. De fait, on en trouvait déjà encore plus tôt dans EDWARD AUX MAINS D’ARGENT. De la même façon, Danny à l’habitude de faire appel à deux harpes. Mais pour NOCES FUNEBRES nous n’avons pas eu le budget pour cela.
Avez-vous fait appel à des ossements humains pour les percussions du Monde Des Morts ?
SB) (Rires) J’aimerai pouvoir vous répondre oui ! En fait, nous avons fait appel à deux vrais marimbas, mais pour le reste, Danny a préféré les sonorités de ses samples qui ressemblaient plus aux sons d’ossements.
Quels sont les projets que vous préparez maintenant ?
SB) Danny vient de commencer à travailler sur CHARLOTTE’S WEB. Nous devrions l’enregistrer d’ici mars. Ensuite, ce devrait être le tour MEET THE ROBINSONS de Disney.
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