07 December 2006

JEFF DANNA & AKIRA YAMAOKA: DES OMBRES DANS LE BROUILLARD DE SILENT HILL






SILENT HILL pourrait n’être qu’un film de plus sur la liste des adaptations cinématographiques de jeux vidéo du type « survival-horror » (RESIDENT EVIL , ALONE IN THE DARK…). Cependant, à scruter plus avant à travers l’épais brouillard qui obscurcit les rues sinistrement désertes de Silent Hill, l’on pourra y faire d’étranges rencontres. Au détour des ruelles de la ville, il est des créatures inquiétantes, bien connues des joueurs de la série des quatre SILENT HILL, que l’on n’aimerait pas croiser sur son chemin. Mais il est aussi de ces joueurs qui ont dû passer des nuits blanches terrifiques, encore plus tourmentées que leurs pires cauchemars, à errer dans cet environnement étrange, dans cette ambiance fortement oppressante. Et parmi ces joueurs c’est un team de grands fans de jeux vidéo et personnalités illustres tout droit sorties des entrailles du cinéma qui ont réussi à convaincre l’éditeur de jeux Konami d’adapter SILENT HILL sur grand écran. Christophe Gans (LE PACTE DES LOUPS, CRYING FREEMAN) a su fédérer des joueurs émérites tel le cinéaste trash Roger Avary (KILLING ZOE, LES LOIS DE L’ATTRACTION) ainsi que le scénariste Nicolas Boukhrief (LE CONVOYEUR) pour créer un film qui pourra autant satisfaire les fans du jeu que les novices à la recherche de nouvelles sensations. Il fallait aussi un partenaire au sang froid pour aider Rose, la maman de Sharon, dans sa quête. Quelqu’un qui a déjà participé à l’adaptation musicale de RESIDENT EVIL APOCALYPSE et avec qui nous avions déjà eu le plaisir de discuter à ce propos : Jeff Danna, fortement imprégné de l’ambiance sonore du jeu imaginée par le japonais Akira Yamaoka.
Retrouvailles aux portes de l’enfer…


TRAVERSING THE PORTALS OF REALITY

Comment-êtes vous arrivé sur ce projet ?
Jeff DANNA) C’est l’un des producteurs de SILENT HILL, qui me connaissait bien, qui a parlé de moi à Christophe Gans. Ce dernier s’est souvenu qu’il avait beaucoup aimé ma musique pour THE GOSPEL OF JOHN. Il m’a donc donné un rendez-vous, et tout est parti de là.

Etes-vous personnellement un fan de jeux vidéos ?
JD) Je dois dire que je n’ai pas vraiment le temps de jouer aux jeux vidéo. Par contre, j’ai un petit garçon de huit ans qui y joue régulièrement. Mais il est trop petit pour jouer à des jeux comme SILENT HILL. Cependant, quand j’ai su que j’allais travailler sur ce projet, j’ai pris le temps d’y jouer, afin de mieux comprendre l’ambiance du jeu.



Auquel des quatre jeux avez-vous joué ?
JD) Au deuxième, car les cinéastes m’ont dit que leur film était principalement basé sur le deuxième et, dans une moindre mesure sur le troisième.

Comment l’avez-vous trouvé ?
JD) Je l’ai beaucoup aimé. C’est un jeu très psychologique et non un simple shoot’em up. C’est un jeu à la fois très intéressant et très dérangeant qui en fait une expérience très forte.

Comment trouvez-vous la musique conçue par Akira Yamaoka pour les jeux ?
JD) C’est une musique très intéressante et très inhabituelle. J’aime beaucoup cette originalité.
Il a su créer un monde unique propre au jeu. Mais je ne parlerai pas vraiment de musique au sens musical du terme. Il s’agit plutôt d’un design sonore. Et cela fonctionne parfaitement dans le contexte du jeu.


THE DARKNESS THAT LURKS IN OUR MIND

Akira Yamaoka est crédité à vos côtés pour la musique du film. Quels furent vos rapports avec lui ?
JD) Toute la musique du film est basée sur sa musique. Très souvent, j’ai eu à retrouver les sonorités qu’il avait créées pour le jeu. Ce qui fait que, parfois, je me suis tourné vers lui pour lui demander quelle technique il avait utilisé pour produire ses sons, de sorte que je puisse m’en approcher le plus possible. Christophe était déterminé à faire de son film une expérience en live du jeu, que ce soit du point de vue visuel, du point de vue des effets sonores ou encore de la musique. Et je trouve qu’il a parfaitement réussi : le film est très fort, très impressionnant. C’est ce qui justifie qu’il y a eu beaucoup d’interactions entre Akira et moi, par le biais d’un traducteur, afin d’être le plus fidèle possible aux sons et textures qu’il a créés.



Akira Yamaoka ne connaît pas le solfège. Cela fut-il difficile de communiquer avec un musicien qui ne partage pas le même langage musical ?
JD) Pas tant que cela parce que nous parlions de sa musique et qu’elle n’a pas besoin de connaissances solfégiques. Si nous avions parlé de l’œuvre de Miklos Rosza, cela aurait sans doute posé problème. Mais dans la mesure où il s’agissait de recréer la musique d’Akira, notre discours a porté sur le design sonore qu’il a crée pour le monde de SILENT HILL. Parfois même, il m’a envoyé une transcription pour piano afin que je soie sûr que l’information passe bien.



Les différences culturelles entre le Japon et les Etats-Unis furent elles un obstacle pour entrer dans cet univers musical ?
JD) Le film que Christophe a réalisé ne peut pas vraiment être qualifié d’américain, ce qui est, je pense, tout à son honneur. On ne peut faire l’économie de certaines références japonaises, dans la mesure où elles font partie du jeu, mais le film est aussi très européen. Dès le départ, Christophe savait qu’il ne se situerait pas dans la norme des productions américaines en matière de films d’horreur. Et je pense qu’il a parfaitement réussi à éviter les clichés de ce genre. Son œuvre est vraiment originale, associant des influences très variées.

On compte de plus en plus de films inspirés par des jeux vidéos : RESIDENT EVIL, MORTAL KOMBAT, TOMB RAIDER… Qu’apporte SILENT HILL de nouveau à ce genre ?
JD) C’est une approche définitivement différente de celle des films que vous mentionnez, notamment par la force psychologique qui s’en dégage. C’est là son originalité et ce qui fait qu’on ne peut qu’être troublé par ce film. C’est une œuvre à part, inclassable.


FOLLOW THE LEADER

Quelle fut votre relation de travail avec Christophe Gans ?
JD) Nous nous sommes très bien entendus. J’ai beaucoup de respect pour lui en tant que réalisateur. C’est quelqu’un d’unique et qui tient absolument à être original, à éviter les clichés, chose que j’admire beaucoup. Il est très agréable de travailler avec quelqu’un de si créatif. C’est aussi très libérateur d’avoir la possibilité de refuser tous les poncifs.



Quel genre de musique découle de tout cela ?
JD) C’est la musique d’Akira qui est la source de tout. Le but du jeu était qu’on ne puisse pas déceler de différence entre sa partition et la mienne. Il fallait que je colle complètement à l’esthétique du jeu vidéo.

Avez-vous tout gardé de la musique des jeux ?
JD) Nous avons précisément discuté de cette question dès le début de la production avec Christophe et Sébastien, le monteur du film. Ils ont été très impliqués dans ce processus, dans cette sélection de ce qui, dans la musique d’Akira, devait rester dans le film, et ce qui ne le devait pas. Et nous sommes rapidement tombés d’accord à ce propos. Il y a tellement de matériel dans chaque jeu qu’il a fallu faire une sélection drastique. L’avantage de cela est qu’il y avait tellement de musique que, lorsque quelque chose ne fonctionnait pas, il était facile de trouver autre chose, toujours dans les jeux.



Cela fut il un problème pour vous en tant qu’artiste d’avoir à vous fondre dans le style d’un autre ?
JD) Pas du tout. En tant que compositeur de musiques de film, chaque projet est un nouveau challenge. En tant que tel, on est souvent amené à travailler en dehors des schémas classiques de composition. Pour moi, SILENT HILL est tout simplement une autre façon de faire de la musique. La musique d’Akira était parfaite pour le jeu et j’ai été ravi de l’adapter pour l’écran sous la direction de Christophe.

Avez-vous eu la possibilité de vous exprimer personnellement en dehors des critères de la musique du jeu ?
JD) Il y a en effet de ces moments dans le film. Mais je préfère ne pas vous dire lesquels, car Christophe tient absolument à ce qu’on ne sente aucune différence entre ma musique et celle du jeu. Bien sûr, notre film, de par sa nature même, avait besoin de scènes originales, qui ne se trouvent pas dans le jeu. Pour ces scènes, nos discussions ont porté sur une extrapolation de la musique d’Akira.


Quand même la mort n'est plus une issue

Est-ce que ce film vous a fait peur ?
JD) Il y a vraiment des moments, dans ce film, qui vous donnent la chair de poule. Ce ne sont vraiment des scènes qui vous feraient bondir de votre fauteuil, mais plutôt des moments à la psychologie malsaine. Le film est très efficace de ce point de vue, et c’est vraiment le sentiment que j’ai ressenti lorsque je l’ai visionné.



Comment avez-vous traduit cela en musique ?
JD) En sélectionnant et en m’inspirant des moments les plus oppressifs de la musique d’Akira pour le jeu.

Dans certains jeux, la musique est le seul élément qui laisse présager de l’arrivée d’un ennemi, alors invisible à l’écran, et d’un combat à venir. Votre musique a-t-elle cette fonction d’anticipation dans le film ?
JD) Parfois, oui. Mais la plupart du temps, Christophe a préféré laisser de côté cette technique empruntée aux films d’horreur traditionnels pour mieux privilégier les effets de surprise.

Cela ne vous empêche pas pour autant de jouer avec les nerfs du public !
JD) Absolument. Le film fait cela très bien par lui-même et la musique le suit avec plaisir. Inquiéter, terrifier, horrifier le public : autant d’effets que nous avons cherché à créer le plus efficacement possible par des moyens originaux. Il y beaucoup de musique dans le film, donc beaucoup de moyens d’expression différents que nous avons pu expérimenter, tant du point de vue des textures que des rythmes.


TERROR IN THE DEPHS OF THE FOG

Les couleurs très particulières du film et la texture spéciale du brouillard vous ont-elles inspirées dans votre design sonore ?
JD) Oui, même s’il s’avère que certains effets, comme le brouillard, n’ont été ajoutés qu’après. Mais globalement, les couleurs que vous voyez à l’écran sont telles qu’elles furent tournées. Christophe voulait limiter au maximum les apports infographiques. Cela apporte un réalisme et une crédibilité aux événements qui se passent dans le film. Le fait est que du point de vue cinématographique, cette histoire est racontée de façon très atmosphérique et la musique colle au plus près de ce type de narration.


Cela veut-il dire qu’il n’y a pas de thème du tout dans votre musique ?
JD) Pas du tout. Cela signifie seulement qu’il y a moins de musique « musicale », moins de thème au sens traditionnel, mélodique du terme que dans la plupart des films. Mais cela ne veut pas dire « pas de thèmes ». C’est seulement leur nature qui change. Il y a deux raisons à cela. D’une part, Christophe pensait que cette approche de la notion de thème était originale, et cette singularité lui plaisait. D’autre part, cela nous aurait par trop éloigné de la conception originale de la musique dans le jeu.

KILLED BY DEATH

Cette ambiance glauque est renforcée dans le jeu et dans le film par un certain nombre de bruits inquiétants qui vous entourent. Les avez-vous pris en compte dans votre façon de structurer la musique ?
JD) En fait dans le film, la majeure partie de ces bruits font partie de la musique elle-même et ont été conçus en tant que tels, comme c’est également le cas dans le jeu. Cependant, le timing est une part essentielle de l’écriture musicale. J’ai donc traité ces bruits comme des moments musicaux, et j’en ai tenu compte pour structurer ma musique autour des dialogues et pour organiser les interventions de l’orchestre.



Justement, pouvez vous nous parler de cet orchestre et de la façon dont vous l’avez utilisé ?
JD) Plutôt qu’un orchestre, je parlerai d’ensemble instrumental live : un piano, un violoncelle, un célesta, et une harpe. Parfois je les utilise seuls, en tant que groupe ou par soliste, mais la plupart du temps ils sont incorporés dans la texture sonore globale. Ils apportent une dimension humaine et émotionnelle à l’intrigue. Ils représentent quelque chose de chaleureux.

Comment avez-vous enregistré ces instruments ?
JD) Ma partition se compose principalement de samples de bruits (par exemple de grands morceaux de métal s’entrechoquant et traités numériquement) associés à des samples instrumentaux (piano, violoncelle, célesta) afin de bien synchroniser l’ensemble, et ce n’est qu’à la toute fin de la production que j’ai remplacé ces derniers par des instruments live. C’est d’ailleurs ce moment où tous les éléments sont finalement réunis et prennent vraiment sens par rapport au film, que je préfère.


Après vos expériences sur RESIDENT EVIL APOCALYPSE et SILENT HILL, avez-vous envie d’écrire la musique d’un jeu vidéo ?
JD) C’est en effet quelque chose qui m’intéresserait vraiment. Je n’évolue pas forcément dans les bons cercles pour le faire, mais je pense qu’il y a dans le jeu vidéo d’énormes possibilités créatives.

Seriez-vous prêt à faire un SILENT HILL 5 ?
JD) (Rires) Les jeux SILENT HILL seront toujours le territoire d’Akira, et c’est très bien ainsi. Pour ma part, je m’occuperais volontiers d’un jeu aussi sombre et psychologique. Mais je suis ouvert à tout car il me semble que le monde du jeu vidéo est encore plus large que celui de la musique de film !


Please, Mister Yamaoka, may you explain to us how a video game music works ? Are there loops, and how do they work to allow the music to get along with the progression of the player ?
Akira YAMAOKA) There are 3 ways.
1. You put sound source data in the Memory for sound in the game machine and have music played with the MIDI data. In short, you have the Memory in the game machine sound as the sampler. But game machines have the different type of Memories in the game and they are ordinarily very small like 2MB. Therefore, it is basically impossible to put Linear sound data (44.1khz/16bit). It should be 11khz/8bit and also be compressed by a specific technology. When you play the music it should be unzipped. Game sounds need high technology..
2. Second way is using movie system. This approach is adopted for non-interactive areas. It is mainly adopted for demo scenes and CG demos. In short this is the same as the movie DVD and therefore we only need to use the Linear data as it is and simply play it.
3. The third way is Streaming. This can only be adopted for the game which does not require the system to access DVD and CD that often to load the game data.
Basically we need to balance the access well to the media in order to play music by Linear. If the access is used only for playing music it would be impossible to load the game data. If the access is also used only for loading the game data the music can not be played.
Game programmers are required to their own technique to play music in accordance with the character movements. If you set a wireframe in the game the music will be played in accordance with the time and distance from the frame.



In the game, you created an oppressing and creepy musical atmosphere specific to Silent Hill. Was this atmosphere resumed in the film as you would have done it ? How did you put the fog, and the grey colors, and the restricted visual possibilities due to the fog and the strange noises into music ? How did you conceive your music for ennemies, heroes, and their relationship (friends, family, …), the feelings, fright, love. Are there themes ?
AY) Yes, I would have done the same. Ordinarily orchestra score is used for films but I will not use normal classical film scores. As I have done for the games I would have used my original sounds for film as well.
To make strange noises I took various approaches. For a scene I used software synthesizer and for another scene I used noises that were already made. Effect sounds and noises of the radio are mainly used with special effects.
Nothing in particular inspires me to conceive the idea of music the in-game characters. Love described in Silent Hill is general one and ideas come into my brain during normal life. But we describe the general love and fear from our original point of view.

How do you express musically an oppressive scene, how do you make the player’s stress go up ?
AY) Round of sound and silence is important for music and effect sounds. It is important to create musically original sounds but I think players will have fear from the round of sound and silence. I think it is important to create stream of time by creating no-sound period. It is more important when sound is off than how the sounds themselves are frightening.

How would you personally describe your music for the game, what instruments you used, what techniques, what sources of inspiration ? Jeff Danna speaks about your music as a sound design. Do you agree and may you explain why ?
AY) Game music is not music because the game itself comes first. There is a difference in creating game music and creating pure music. My main issue is how to create amazing interactive entertainment. There are areas in which players can exert something and there are many factors which work for footage, music and scenario. Music should go in the same direction as other factors. I should consider of how intensely I describe the information which stimulates players’ ears as one of the factors of a video game. I might as well contract with a Record company if I create pure music. And so I think what “Sound Design” Jeff mentioned might be the correct expression of my work.



Is the opposition between pop music (Laura’s theme) and atmospheric music a way to differenciate, to oppose humans from creatures ?
AY) I have never thought about it. J I think theme songs should be catchy like POP music. I put atmospheric sounds as well as POP and ROCK music. The contrast of the music is one of the feature of Silent Hill.

How did you approach the character of Laura ? Why this pop style ?
AY) Silent Hill 1 consists mainly of uncomfortable sounds. I cannot even bear listening to the SOUNDTRACK. J Then for Silent Hill 2 I decided to create an atmosphere which had never been used for games. I tried to destroy the game music. POP and melodious sounds were the antithesis for ordinary game music.

Are there cinematographic scenes litteraly taken from the video games ? What kind of music does accompany them ?
AY) Yes, there are many. Those who know the game would enjoy it more. For the scenes in the film which also exist in the game I used the same sounds. I heard that some effects should be added ordinarily and I used the in-game music and sounds without any effects.
How did you deal with cultural differences between Jeff Danna and you? What did these differences bring to both of you ?
I had no difficulty about it. It was fantastic that Jeff adjusted my music perfectly in the film.



You said once that you didn’t know how to read music. Is it difficult to talk with a traditional composer as Jeff Danna to collaborate with him in these conditions ?
AY) Jeff is in charge of supervision rather collaboration. I compose music and pass it to Jeff, and Jeff processes it with PRO TOOLS. All the music and sound for the game and film have been made by me.

Some time ago, there were announcements of a solo album of yours. What about this project at this time ?
AY) The project was completed and sold in Japan in the beginning of this year. It was received favourably and I would like to try the second Album.

Merci à Cécile Caminades - KONAMI


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