10 December 2006

SHEITAN, Entretien de N'GUYEN LE, par Christine BLANC


« Seigneur, ne leur pardonnez pas car ils savent ce qu’ils font »

La veille de Noël, Bart, Ladj, Thai, Yasmine et Eve quittent une soirée qui a mal tournée. Eve, très allumeuse, les invite chez elle. Mais lorsque la jeunesse des villes se retrouve dans les griffes de Joseph, l'étrange gardien de sa maison de campagne, la rencontre bascule dans le conte sanglant...


Sheitan est un film Diabolique. Soit vous adorerez, soit vous le détesterez. Mais personne n'y sera insensible. Une première dans l'univers cinématographique français, dans lequel Kim Chapiron nous emmène faire une virée hallucinante, dans la campagne profonde. Un groupe de jeunes de la banlieue font une virée chez un berger déjanté, préparant une nuit de culte santaniste. Ambiance glauque, athmosphère malsaine, violence, humour noir, cynisme et sadisme sont de la partie.
C'est un compositeur franco- vietnamien NGuyen Lê que Kim à choisi pour composer une partition très variée comme les origines multi ethniques, dynamique pour accompagner la rencontre explosive d'un univers urbain avec un monde rural démoniaque!

Au commencement il y eut...


Monsieur, NGUYEN Lê, pouvez vous nous raconter comment vous avez commencé à apprécier et à pratiquer la musique ?

NL-J'ai commencé la musique très tard. D'ailleurs, les premières notes qui m'ont vraiment marqué sont celles de Deep Purple, j'étais alors en classe de 6eme. L'énergie et l'électricité du hard rock m'ont plu. J'ai toujours gardé ces 2 éléments, pour moi proches de la transe, dans mon jeu. Puis j'ai été batteur dans un groupe de lycée. Notre musique était déjà très improvisée, avec une couleur King Crimson. Un jour, le guitariste a laissé son instrument chez moi. J'ai pris sa guitare et j'ai ressenti un nouveau déclic. C'est donc à l'âge de 16 ans que j'ai définitivement choisi la guitare. J'ai alors commencé un apprentissage en autodidacte, ce que je suis resté jusqu'au bout.
Quel est votre parcours (formations, expériences,...)

NL-Principalement : Ultramarine, l'ONJ, puis mes disques solo.

Quels sont vos goûts musicaux, (type de musique, musiciens, compositeurs favoris, instruments de prédilection...)?

NL-La musique européenne classique (Bach, Mozart) & moderne (Debussy, Ravel, Bartok). Le Blues des origines (Big Bill Bronzy & Albert King) Le Jazz, de Django Reinhardt à Miles Davis. Le Rock de Jimi Hendrix, Le Funk de Prince. Les musiques traditionelles de tous les pays, du Vietnam au Mali en passant par l'Inde. En quoi cela vous influence dans vos diverses activités musicales.


Quel impact dans vos compositions ?

NL-Tout est là, d'une maniere ou d'une autre, à un moment ou un autre. Je crée mon identité en puisant dans tout ce qui m'a formé & en me le réappropriant.

On connaît votre fascination pour Jimi Hendrix. Est t’il en quelque sorte un mentor pour vous, un guide spirituel, qu’est ce qu’il représente pour vous d’un point de vue humain, mais aussi musical ?

NL-C'est un père car il a inventé l'instrument que je joue, la guitare électrique. Je lui dois donc cet hommage, mais comme avec tous les pères, nous devons nous libérer de cet héritage pour devenir nous mêmes. C'est aussi le symbole d'une génération & un des premiers musiciens noirs à avoir eu le succes aupres du public blanc.




De même, comment conciliez vous vos origines Vietnamiennes et votre éducation Française. Comment gérez vous cela d’un point de vue musical ?

NL-Mon premier projet abouti dans cette problématique a été le projet " Tales from Viêt-Nam"(CD en 1996). Depuis mon 1er CD "Miracles" je voulais faire quelque chose autour de mes racines, mais il n'y avait rien de très abouti jusque là. J'ai donc attendu de me sentir assez "mature" - d'avoir acquis une certaine maitrise du language jazz - pour faire " Tales from Viêt-Nam". Travailler sur le répertoire, le phrasé & avec des musiciens traditionnels a été pour moi une manière de retrouver la vérité de mes racines, mais aussi, en quelque sorte, de dire à mes ancêtres : " voilà comment je comprends votre culture et comment je la rends mienne ". Pour moi, le Viêt-Nam ne va pas de soi : La part qui en émerge de moi, je l'en ai fait sortir, comme une tradition réinventée. Pour moi, il y a un avant et un après ce disque. Depuis, je continue cette mission que je me suis donnée : faire aimer la musique & l'ame vietnamienne au plus grand monde, & l'amener à la modernité avec plusieurs CD avec la chanteuse Huong Thanh.

Dans Le Club

Comment avez vous eu l'opportunité ou l'envie de travailler dans la composition de musiques de film?
NL-Kim Chapiron est le fils d'une amie vietnamienne de longue date. Il adorait mes albums avec Huong Thanh & a insisté pour que je sois le compositeur de son 1er long métrage "Sheitan". J'adorais son travail chez Kourtrajmé & j'ai accepté avec enthousiasme. Mais ce film n'avait rien à voir avec le Vietnam. Au contraire du 2e film, "Saigon Eclipse" d'Othello Khanh (à paraitre en 2007), son directeur musical Alex Sosno connaissait mon travail sur la musique du Vietnam : ce film étant réalisé par une société basée à Saigon, nous avions les mêmes problématiques de "modernité vietnamienne". Je ne pouvais qu'être le compositeur de ce film.



Pouvez vous nous décrire vos processus d'écriture ? (Contexte, rituels, matériel technique...)

NL-Pour les musiques de films le réalisateur a toujours des idées sonores autour de ses images. Je les mets en oeuvre musicalement tout en proposant ma propre musique en même temps. Tout se fait devant l'ordinateur (un Mac) avec le logiciel de musique Digital Performer, qui permet de visualiser le film & de synchroniser très précisément la musique.

Vous êtes musicien de Jazz. Vous expliquiez dans une interview que cela vous permettait de réunir diverses influences. Pouvez vous nous en dire un peu plus ? NL-Le Jazz est une musique d'improvisation, basée sur l'écoute & le jeu avec les autres ("interplay"). Il y a un esprit d'ouverture inhérent à cette musique qui peut du coup se lier à d'autres plus facilement si on en a le sincère désir.

En quoi le Jazz vous influence dans la musique de film ? NL-Je ne pense pas du tout au Jazz dans ce contexte. Si on a besoin d'un son "Jazz" à cause d'une certaine scène, je le ferai bien sur. Quel impact sur votre carrière ont vos différentes origines culturelles ? La nationalité française à t-elle été pour vous un handicap ou un avantage dans le milieu cinématographique et musical ?

NL-Je ne me pose pas la question - j'avance avec ce que je suis. Par rapport au Jazz qui est une musique américaine, je peux penser que si j'habitais NYC j'aurais eu un succès plus rapide & large. Mais ce n'est pas ma plus grande préoccupation.



Comment avez vous choisi d’utiliser telle orientation musicale par rapport a telle ou telle scène ?

NL-Kim a toujours été le décisionnaire.

Concernant plus particulièrement votre travail pour Sheitan, on sent dans votre partition plusieurs orientions musicales. Pouvez vous nous les décrire ?

NL-La partie rythmique/festive étant aussurée par les rappeurs amis de Kim, mon travail était de développer 2 aspects que le rap ne pouvait faire : le rêve & la poésie d'une part, & le suspense, la tension & l'angoisse d'autre part. Le 1er coté a été très mélodique, autour d'une berceuse de Noel qui a subi plusieurs déclinaisons, des plus enfantines aux plus étranges. Le 2e coté était un travail électro-acoustique sur des sons sans origine distincte mais à fort pouvoir émotionnel.

Quelles ont été les directives qui vous ont été données pour votre travail: Temps imparti, moyens humains, financiers et matériels (partition temporaire, choix orchestre...) ?

NL- L'aventure a duré a peu près un an. A la fin c'était de plus en plus pressé car j'étais tout le temps en tournée. La production m'a demandé une maquette de mes ébauches au début. Pour l'orchestre & la partiton j'avais la liberté de mes choix.


Pouvez vous nous parler de votre collaboration avec le réalisateur, le directeur et le reste de l’équipe? Y a t’il eu bonne entente ? Aviez vous la même vision, les mêmes conceptions, les mêmes orientations?

NL-Je n'ai travaillé qu'avec Kim qui était très directif dans les moindres détails. Il y a une équipe comme dans tout film, mais je n'ai pas eu vraiment de contacts avec eux, juste un peu avec le monteur puis l'équipe du mixage & de sound design pour une bonne collaboration surtout technique.

Avez vous utilisé l'informatique ? Dans quelle proportion et à quelle fin ? Avez vous utilisé des instruments traditionnels, spéciaux ?

NL-Au début du travail j'ai constitué une banque de sons enregistrés à partir d'un piano préparé ou joué à l'intérieur avec des objets. Après traitement électronique ils sont devenus une sorte de "vocabulaire d'ambiances" souvent reliés a des scenes ou des personnages précis. Le Mac était au centre de la production musicale, du début à la fin. A la fin j'ai remplacé quelques parties par des vrais instruments (marimba, glockenspiel, flutes, harpe) qui au moment de l'écriture était simulés par des synthés/samplers.

Avez vous travaillé avec un orchestre, quelle était sa taille ? Votre budget temps et financier?

NL-Le budget était maigre car c'était le 1er long métrage de Kim. Je n'ai pas eu besoin d'orchestre, Kim n'ayant pas le désir de cette sonorité.




Votre score est-il thématique, ambiantal,... ? Pouvez vous expliquer vos orientations et choix en la matière. Vous participez depuis de nombreuses années à des concerts, vous produisez vos propres albums… Est ce que cette expérience cinématographique va changer vos activités musicales ? Etes vous satisfait du milieu de la musique de film ou préférez vous ne pas renouveler dans cette voie ? NL-La musique de film est qqch de très différent de la maniere dont je fais la musique habituellement. D'abord parce que dans le film chaque note a une fonction & un sens, chaque musique sert l'image (& non le contraire). Je ne fais jamais d'habitude la musique pour que ça soit triste ou angoissant. Je préfère qu'elle soit abstraite pour que chacun puisse voyager dessus. Ensuite parce que je ne suis pas le "chef d'orchestre", au contraire de la majorité de mes projets habituels. Ce manque de liberté peut être qqfois frustrant, mais en même temps l'expérience de créer une musique qui porte & magnifie l'image peut être merveilleuse & exhaltant.

Saigon Remix

Vous m'avez dit être très occupé actuellement et pour une longue période, sur quoi travaillez vous actuellement, et pouvez vous nous dire quels sont vos projets futurs ?

NL-Je viens de finir une commande d'écriture pour un trio de musiciennes classiques coréennes basées à NYC, le "Ahn Trio" (que m'a d'ailleurs présenté Kim Chapiron). Il y aura une création au festival Laguna Beach à LA en janvier. Auparavant je finissais le score de ma 2e musique de film "Saigon Eclipse". Maintenant je commence l'écriture d'un 4e album pour Huong Thanh. Le tout tout en continuant concerts & tournées dans le monde entier (voir "planning" sur mon site)


Si vous pouviez choisir un de vos prochain projet, sur quel type de film, avec quel réalisateur, directeur, acteurs voudriez vos travailler ?

NL-J'aimerais travailler sur un film qui serait écrit à partir d'une musique que j'aurais écrite ! :=)


Auriez vous un message particulier à passer aux lecteurs de cet interview ? NL-NL-Peace !

Un film avec:


Vincent Cassel, Roxane Mesquida, Olivier Barthelemy, Ladj Ly, Nico Le Phat Tan, Leïla Bekhti, Julie-Marie Parmentier, Monica Bellucci.

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