Media Magic & Inter-Activities ont eu le privilège de pouvoir approcher le « Captain »…
Votre nom est souvent associé à celui de Jerry Bruckheimer. Votre complicité s’étale sur de très nombreux films.
Je crois que le premier film de Jerry dont j’ai fait la musique était Days of Thunder. Puis j’ai travaillé en tant que compositeur, mais j’ai donné quelques coups de main, notamment sur The Rock. Il y a eu quelques rumeurs infondées selon lesquelles j’aurais composé deux thèmes pour Armageddon. Je me souviens également de La Chute du Faucon Noir, mais c’était davantage un film de Ridley Scott qu’une production Bruckheimer.
Comment expliquez-vous cette alchimie ?
C’est difficile à dire. Je pense que j’ai inventé très tôt un son qui lui plaise. A l’époque, il était connu pour éviter d’utiliser l’orchestre symphonique. Ce que je lui ai apporté, c’est une nouvelle approche de l’orchestre qui ne lui semble pas « ancienne ». Je ne sais pas si l’on peut parler d’alchimie. J’ai simplement trouvé un langage musical assez puissant qui lui convienne.
Quelle place tiennent ces films dans votre carrière, et dans votre évolution personnelle ?
Je dois dire dire que j’ai davantage évolué sur des films autres que les productions Bruckheimer. L’une de mes partitions les plus représentatives dans ce sens est, pour moi, celle de La Ligne Rouge. C’est un film aux antipodes de ce que fait Jerry, et pourtant, il a adoré cette musique, et m’a demandé si je pouvais faire quelque chose dans le même esprit pour Pearl Harbor.
Peut-on parler d’une évolution vers une approche de plus en plus orchestrale ?
En fait, tout dépend du film sur lequel vous travaillez. Prenez La Chute du Faucon Noir. Il s’agit bien d’un orchestre, même s’il est très accidenté. De la même façon, des confrères comme Steve Jablonski, pour la série Desperate Housewives, composent chaque semaine des musiques orchestrales. C’est assez incroyable. J’aime cette idée d’écrire des musiques pour des musiciens, et pas simplement bidouiller sur son synthétiseur seul dans son coin. Dans le même temps, les deux partitions de Pirates des Caraïbes font largement appel à des synthétiseurs, et le résultat est aussi formidable.
Quel fut exactement votre rôle sur le premier opus de Pirates des Caraïbes ?
En fait, je connaissais Gore Verbinski, le réalisateur, depuis The Ring. La musique prévue originellement pour le film (composée par Alan Silvestri, DNLR) ne lui convenait pas, ce qui fait que j’ai repris les choses en main. Seulement, je m’étais lancé dans un autre film quand la production de La Malédiction du Black Pearl a commencé. Je n’ai pu y participer pour des raisons contractuelles, mais cela ne m’a pas empêché d’en écrire les thèmes principaux. J’y ai d’ailleurs passé un jour et une nuit entiers. Klaus a ensuite pris les rennes. Il faut dire que nous n’avions que très peu de temps : trois semaines seulement ! Une fois les thèmes composés, j’ai construit l’architecture générale de la façon dont ils devraient être arrangés. J’y ai travaillé pratiquement toutes les nuits pendant cette période, comme un producteur : j’arrangeais, je corrigeais, je mixais. En fait, toute la musique du film découle de ces thèmes écrits entre le jour et la nuit !
Ce rôle de producteur, c’est un peu celui que vous avez tenu sur Wallace & Gromit.
Un peu, si ce n’est que le compositeur original de la série n’avait pas d’expérience en matière de long-métrage, et il a donc fallu faire un travail beaucoup plus approfondi dans ce sens.
Le thème de Jack Sparrow dans Le Secret du Coffre Maudit fait largement appel au violoncelle solo. Comment en êtes-vous venu à cette association inattendue entre le célèbre Captain et cet instrument ?
Tout simplement parce que j’ai écrit cette musique pour mon ami Martin Tillman, un violoncelliste avec lequelle je travaille beaucoup. Je savais que je pouvais transformer Martin en un véritable pirate, lui inspirer beaucoup d’humour, d’énergie ou d’émerveillement. Je savais que je pouvais lui faire jouer de son instrument d’une manière qui ferait dresser les cheveux sur la tête de son professeur de violoncelle ! La manière idéale pour ce film !
Je crois même savoir qu’il a carrément écrit un morceau pour le film.
En effet, il a composé une musique atmosphérique de son cru, quelque chose de typique de son univers, quelque chose de mortel !
Martin Tillman a aussi bien joué du violoncelle acoustique que du violoncelle électrique. En fonction de quoi avez-vous opéré ces choix d’instruments ?
Le violoncelle électrique a été utilisé pour toutes les scènes impliquant le personnage de Davey Jones. Pour ce personnage, j’ai demandé des choses horribles à l’orchestre ! Je l’ai associé à des guitares électriques très puissantes, diffusées à fond à travers la salle d’enregistrement ! Déjà, le personnage de Jack Sparrow a ce côté « Keith Richard », et j’ai pensé développer une approche similaire pour Davey Jones, un comme comme Lenny de Motorhead.
Un pas de plus est en effet franchi ici dans la modernisation de la musique de films de pirates, avec cette attitude vraiment rock !
Je ne parlerai pas vraiment de « rock attitude ». Pour que ce soit le cas, il faudrait une véritable partie de batterie, et l’un des aspects de cette partition sur lequel j’ai beaucoup travaillé, c’est de tout faire pour ne pas avoir à en utiliser. Il s’agissait plus pour moi de trouver une attitude dans l’écriture, mais également dans l’exécution, chez les musiciens. C’est ainsi que j’ai demandé aux musiciens de jouer de façon bien plus « rock’n roll », en particulier les sections de violoncelles et de basses. Vous pouvez l’entendre dans la b.o. : ils jouent beaucoup plus haut sur le chevalet, beaucoup plus serré et de façon beaucoup plus agressive. Rien qu’on ne puisse retrouver dans une partition de Prokofiev ou autre, mais cela dans un contexte bien spécifique.
De par cette attitude vis à vis du violoncelle acoustique, votre partition se présente comme une association passionnante de l’ancien et du moderne ! Un aspect que l’on retrouve également, d’une manière différente, dans votre partition pour le Da Vinci Code, associant des violes de gambe à l’orchestre symphonique.
C’est pour moi une façon d’étendre mon paysage musical, et de jouer là-dessus. Rien que du point de vue du plaisir sonore, et de sa pertinence du point de vue intellectuel, il est toujours intéressant d’associer petits et grands ensembles, l’ancien et le nouveau, etc. C’est toujours très inspirant de se dire qu’on dispose d’autant de couleurs avec lesquelles peindre. De par la nature-même des deux Pirates des Caraïbes, leurs thèmes devaient être très simples. On ne pouvait s’éloigner d’une certaine tradition de la musique populaire. Alors que pour le Da Vinci Code, j’ai pu être plus aventureux et plus rafiné dans mes harmonies et tous les mouvements internes de la musique. J’adore ajouter de nouvelles couleurs à ma palette !
Alors que la plupart des compositeurs attribuent un thème à chaque personnage et le varient en fonction de la situation, vous semblez attribuer plusieurs thèmes pour un même personnage, comme Jack.
Oui et non. Si vous prenez le thème de Jack présent sur l’album, malgré le fait qu’il semble y avoir plusieurs thèmes, tout n’est en fait qu’un développement du même motif, celui du premier film… mais partant dans tous les sens ! (rires) Mon problème, c’est que j’écris des thèmes extrêmement longs. Ils n’ont pas seulement une partie A et une partie B comme la plupart des thèmes, mais une partie C, une partie D, etc, etc. Et je choisis l’une de ces parties en fonction de la situation dans laquelle se trouve le personnage.
Le thème de Jack a donc évolué depuis le premier opus : il utilise davantage de demi-tons. Est-ce pour vous un moyen de le rendre plus drôle ou plus inquiétant ?
Je dirai plutôt roublard, farceur. Je me suis inspiré de la façon dont Jack tient ses conversations. Il utilise des tas de mots, des tas d’expressions insensées, et je voulais faire de même dans la musique. Et je n’ai pas beaucoup à me forcer. Je développe tellement que j’arrive presque toujours à quelque chose de totalement différent de ce que j’avais prévu, en violant toutes les règles de l’écriture classique !
Pouvez-vous nous parler de votre utilisation de l’orgue ?
Tout est parti du fait qu’ils voulaient que Davey Jones joue de l’orgue, et qu’ils voulaient que je compose une pièce avant le tournage pour pouvoir tourner en synchronisation parfaite avec la musique. C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Ce fut d’ailleurs assez spécial de faire jouer ce morceau sur l’orgue de Davey Jones car c’est un très vieil instrument, et ses touches ne sont pas très orthodoxes ! Mais j’ai surtout voulu qu’il y ait de l’orgue pour Davey Jones et pour le Kraken car tous deux sont liés, c’est pourquoi il y a cet intermède à l’instrument à tuyaux au milieu de son thème orchestral. C’est une couleur sonore qui n’apparaît plus dans le films aujourd’hui, et c’est dommage.
Avez-vous commencé à travailler sur le troisième opus ?
Absolument, et ce depuis plusieurs mois déjà.
Votre musique semble plus émotionnelle dans Le Secret du Coffre Maudit que dans la Malédiction du Black Pearl.
Tout à fait, et ce fut totalement délibéré. Et ce n’est rien par rapport au troisième film. Il sera encore plus émotionnel.
Est-ce que les mini Z (les enfants de Hans Z.) ont aimé le film ?
Totalement. L’une de mes filles est d’ailleurs venue assister à la première à Disneyland. Ce fut colossal. Elle a adoré !
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