10 March 2006

CAPITAINE SHEARMUR ET LE MONDE DE DEMAIN - Interview d'Edward Shearmur: Captitain Sky Et Le Monde De Demain.

C’est dans son univers très personnel que nous entraîne le réalisateur de CAPITAINE SKY ET LE MONDE DE DEMAIN, Kerry Conran : un monde rétro futuriste à la fois familier et radicalement original, ancré dans notre mémoire collective du cinéma d’antan, des serials et des superhéros de Comics,. Des robots de demain y croisent des Zepplins d’avant guerre ; des rayons laser rivalisent avec des WarHawk P-40, le tout filmé intégralement suivant la technique du fond bleu, nimbé dans une lumière sépia, éthérée, créant une ambiance quasi onirique, digne de l’Age d’Or hollywoodien.
Pour cet univers très particulier entre science fiction et roman noir, il fallait une musique spécifique. Un défi relevé haut la main par le jeune compositeur Edward Shearmur. Après LES AILES DE LA COLOMBE, K-PAX et LE REGNE DU FEU, il confirme une fois de plus un talent des plus prometteurs, trait d’union entre la pop (Pink Floyd, Sting, Marianne Faithfull,…) et le classique, à l’image de son mentor, le regretté Michael Kamen.


THE BEGINNING OF THE WORLD OF TOMORROW


Comment êtes vous arrivé sur le projet SKY CAPTAIN ?
ES) Ce fut un coup de chance. Il y a cinq ou six ans, j’ai participé à un tout petit film indépendant THINGS YOU CAN TELL JUST BY LOOKING AT HER réalisé par Rodrigo Garcia et produit par Jon Avnet. J’ai appris il y a quelques temps que ce dernier allait participer à SKY CAPTAIN. J’ai repris contact avec lui et je lui ai fait part de mon interêt.
Par chance, ils n’avaient pas beaucoup d’argent à consacrer à la musique ce qui les empéchaient de faire appel à des compositeurs plus célèbres. Quand j’ai rencontré Jon et Kerry Conran, le réalisateur, nous nous sommes rendus compte que nous avions tous trois une sensibilité en commun à propos de la manière dont la musique devait fonctionner dans le film.
C’est une chose très importante, en particulier sur un premier film, comme c’est le cas pour Kerry.


Qu’est ce qui vous intéressait a priori dans ce film ?
ES) J’avais entendu parler de la nature très particulière de ce projet et j’ai pensé que ce serait une grande opportunité du point de vue musical.

Ce film est vraiment le bébé de Kerry Conran. Comment avez vous travaillé avec lui ?
ES) Nous avons eu la chance d’avoir suffisamment de temps pour concevoir une approche spécifique à ce film, c’est à dire, qui soit fidèle aux conventions musicales des films des années 30 et 40, sans pour autant sonner de façon anachronique ou donner l’impression d’un pastiche. La majeure partie de notre travail durant les premiers mois a été d’ordre thématique : trouver un ensemble de thèmes qui pourraient convenir à l’ensemble du film.


A la première écoute de l’album, on pense à John Williams. Mais ensuite on se rend compte en effet que les racines de votre musique plongent plus loin, jusqu’à des compositeurs comme Wolfgang Korngold.
ES) Ce que vous me dites me fait très plaisir. En matière de musique de film, il est très difficile d’échapper à l’aura de John Williams. C’est un tel génie qui a totalement transformé le paysage musical cinématographique. Pour SKY CAPTAIN, nous sommes partis des mêmes origines que lui à l’époque où il composait ses grandes partitions des années 70 et 80. Il a été le seul à reconnaître et à assumer l’influence de compositeurs comme celui que vous venez d’évoquer, mais aussi comme Bernard Hermann, Alex North ou Miklos Rosza. Pour ma part, je dois avouer que je ne me suis pas intéressé à une de leurs musiques en particulier pour puiser mon inspiration pour SKY CAPTAIN. Je me suis plutôt laissé porter par la grandeur du geste musical de ces partitions.



Tant du point de vue visuel que narratif, le film se base largement sur l’esthetique des films des années 30-40, mais c’est aussi un authentique film de science fiction avec robots et machines volantes. Quelle fut votre attitude par rapport à cet aspect du film ?
ES) Même l’aspect science fiction du film baigne dans l’esprit de ces années là. N’importe qui familier de films comme FLASH GORDON et autres se reconnaîtra dans SKY CAPTAIN. De fait, il n’y a pas d’électronique dans cette partition. A un moment, nous avons bien envisagé d’y insérer quelques sonorités futuristes des années 50 comme le Theremin ou les ondes Martenot. Mais cela semblait finalement anachronique et nous avons abandonné cette idée.


Vous avez opté pour une approche nettement thématique. A notre époque où la plupart des films en prises de vue réelles se tournent plutôt vers des musiques atmosphériques, cette volonté de préserver la tradition apparaît courageuse.
ES) On peut dénombrer entre quatre et cinq courants thématiques qui parcourent le film.
Le thème de Sky Captain est le plus évident. On l’entend dès le début du film, il est très nettement associé à ce personnage. Totenkopf a sa propre collection d’élèments thématiques, certains rythmiques, certains mélodiques, que j’ai utilisés independamment ou combinés. Vient ensuite le thème de Frankie, le personnage interprété par Angelina Jolie, que l’on peut découvrir vers le milieu du film dans la séquence de la forteresse volante. Il y a enfin un petit thème pour Dex, qui est en fait le premier que j’ai écrit pour le film. Cette approche nous a semblé la plus en accord avec l’esprit du film et nous a permis de disposer très tôt d’un important matériel thématique.

Comment avez vous traité la relation entre Captain Sky et Pollie ?
ES) Il y a bien un thème d’amour dans ce film, mais on ne peut jamais l’entendre dans son intégralité. De par la nature particulière de la relation entre ces deux personnages, ce thème est constament interrompu ce qui fait que vous ne pourrez jamais l’entendre dans son entier. C’est dommage parce que c’était un joli thème !…

HEROS D’HIER ET DE DEMAIN

Quelles sont vos musiques de films de super héros préferées ?
ES) C’est un ensemble très disparate. Il est très intéressant de voir comment les musiques de super héros ont évolué durant les quinze dernières années. Danny Elfman a beaucoup contribué à changer notre perception de ces personnages. Je pense bien sûr à Spiderman mais cela remonte bien plus loin, dejà avec Batman. Pour moi, ce fut vraiment un nouveau départ dans le genre dans la mesure où il ne jouait plus seulement sur l’aspect héroïque mais s’intéressait également à ce qu’il y avait sous la surface, sans jamais sacrifier à une certaine légereté. J’ai revu BATMAN il y a peu et j’avais oublié à quel point ce film pouvait être drôle par moments. Mais en même temps, il y a ce côté sombre véritablement inédit. Cela ne diminue en rien les mérites et les qualités de grands classiques comme SUPERMAN qui demeurent des incontournables et des références qu’il ne faut surtout pas oublier. Dans les partitions actuelles, j’ai peur que nous perdions cette subtilité au profit de sonorités clinquantes et de rythmes effreinés.


Comment situez vous Sky Captain parmi tous ces héros ?
ES) Ce film est plus une experience en deux dimensions dans le sens où il possède une innocence et une naïveté qu’un film comme BATMAN n’a pas. L’interiorité des personnages est bien moins explorée et privilégie une approche plus directe.

N’y a-t-il pas un plaisir délicieusement enfantin à déployer ce thème héroïque à chaque apparition à l’écran de Sky Captain ?
ES) Absolument. Mais cela n’a rien à voir avec la facilité ou le systématisme. Le genre a ses conventions, et le plaisir vient précisement du fait de jouer là-dessus, le tout étant d’employer ses thèmes de façon judicieuse en tenant compte des leçons du passé. La tendance actuelle vise plutôt à fuir les conventions mais, à l’inverse, je trouve qu’il y a quelque chose d’enfantin à les suivre à la lettre. Le tout étant d’en être conscient et de l’assumer.



Ce fameux thème de Sky Captain apparaît dès le tout début du film, et triomphe avant que le titre s’inscrive sur l’écran. Est-ce une attitude délibérée de livrer ce thème dans son entier avant même que le film commence réellement du point de vue visuel ?
ES) Cela résulte en fait d’une approche préliminaire qui a finalement été retirée du film. Au début de sa conception, il y avait des chapitres, comme dans un livre, placés en des points stratégiques de l’histoire. L’action s’arrêtait, un peu dans le style des thrillers des années 30 ou de séries comme BUCK RODGERS, et l’on posait des questions du genre : « est-ce que Sky Captain va survivre aux attaques de l’armée de Totenkopf ? Pour le savoir, soyez là la semaine prochaine… A suivre… ». A chaque fois que ces images apparaissaient à l’écran, il devait y avoir une musique très thématique, et ce dès le début, comme une signature musicale que l’on retrouverait chaque semaine à chaque épisode.


OVER THE RAINBOW



SKY CAPTAIN cite explicitement LE MAGICIEN D’OZ, que ce soit visuellement, au cours du film, ou musicalement, dans le générique de fin, avec la chanson Over The Rainbow. Que signifient pour vous ces références ?
ES) Elles fonctionnent à plusieurs niveaux de lecture. Pour moi, c’est avant tout un signal adressé au public pour lui dire qu’il n’y a rien de mal à se replonger dans cette innocence et cette naïveté à travers un film. C’est une expérience qui n’a rien de complexe, ni de cynique, c’est beaucoup plus simple que cela. Avec SKY CAPTAIN, nous sommes de l’autre côté de l’arc en ciel, dans une autre réalité et la normalité ne s’applique pas ici. Ces références participent également de situer le film à une époque particulière, dans un contexte particulier.


Over The Rainbow est ici magnifiquement interprétée par Jane Monheit.
ES) Lorsque nous avons discuté de l’album du film avec Sony Classical, Peter Gelb s’est montré très excité par ce projet et a suggéré que nous y insérions une nouvelle version du classique interprétée par Jane Monheit. C’est une chanson qu’elle chante depuis toujours et qui figure même déjà sur l’un de ses propres enregistrements. Elle a su révéler des aspects très différents de ce titre.

Vous avez vous-même signé l’arrangement de cette chanson. Quelle fut votre approche ?
ES) Pour moi, il s’agissait de faire un pont, orchestralement, entre la partition du film et la chanson.


On vous retrouve ici, comme à votre habitude, aux commandes du London Metropolitan Orchestra. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec cet orchestre ?
ES) Cela fait au moins dix ans que je travaille avec eux. Il compte parmi ses rangs de nombreux musiciens issus des meilleures phalanges londoniennes. C’est toujours un plaisir de développer une telle relation avec des artistes de ce niveau. Le fait est que, en raison d’un budget très serré, la question de l’orchestre s’est posée, et d’un possible enregistrement en Europe de l’Est, comme cela se pratique de plus en plus couramment aujourd’hui. Mais au fur et à mesure que les notes se dessinaient sur le papier, il devenait de plus en plus évident que les musiciens de Londres seraient les plus aptes à offrir le plus haut niveau d’interprétation sur un temps d’enregistrement très court. Il faut dire que nous avons enregistré cette partition en seulement 5 jours -entre 20 et 23 minutes de musique par jour-, et qu’elle n’a rien d’évident à jouer, en particulier pour les basses. Compte tenu des pressions de temps, cela n’était finalement faisable qu’à Londres. De plus, en tant que chef d’orchestre, c’est un plaisir immense que de se retrouver en face de musiciens de ce calibre, jouant avec une telle implication et une telle perfection. C’est un honneur pour n’importe quel compositeur. Quand on pense qu’on est payé pour cela !…

Quel souvenir garderez-vous de cette expérience ?
ES) Ce fut une première pour moi tant du point de vue du matériel que de l’ambition de cette musique. Ce fut un véritable défi que de ce lancer dans ce projet, et maintenant que tout est fini, je ressens une grande satisfaction, en tant que compositeur, d’avoir franchi une nouvelle étape dans l’évolution de mon écriture grâce à ce film. Je me souviendrai également d’une collaboration très excitante avec un fantastique groupe de gens de talent. J’admire énormément Kerry et j’espère beaucoup que notre collaboration va continuer. Quand vous êtes un enfant et que vous commencez à vous intéresser à la musique de film, à tout ce qu’elle peut apporter à un film, vous rêvez d’un projet comme celui-ci, et cela n’arrive pas si souvent. Ce fut donc une joie immense que d’y prendre part.


Vous êtes un musicien et compositeur britannique, travaillant dans le milieu du cinéma hollywoodien, mais vous avez également travaillé avec des artistes français.
ES) En effet, j’ai écrit les parties de cordes d’anciennes chansons de Pascal Obispo, mais mon souvenir le plus marquant restera ma collaboration avec Johnny Hallyday. J’ai réalisé les parties de cordes d’un de ses albums il y a quelques années. Je me rappelle traverser Paris à toute vitesse avec lui au volant d’une Mercedes. C’était peu de temps après la disparition de la princesse Diana. Nous sommes passés sous le même pont à plus de 140km/h. C’est un conducteur très chevronné. Nous sommes ensuite allés dans plusieurs Nightclubs et j’ai été frappé par le respect et la considération dont il bénéficie en France. Il a de plus une voix incroyable et un parcours exemplaire.

Quels sont vos projets ?
ES) Je travaille sur un film qui s’appellera THE SKELETON KEY réalisé par Iain Softley, à qui l’on doit aussi THE WINGS OF THE DOVE et K-PAX. C’est un thriller psychologique qui se déroule à la Nouvelle Orléans, avec Gena Rowlands et John Hurt.

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