J’ai commencé en tant que scénariste dans la BD avec Patrice. Il faut dire que nous avons presque toujours travaillé à deux. Ensuite, nous avons eu un petit garçon, Gabriel. Puis j’ai repris mes études aux Beaux-Arts et depuis je suis plasticienne. Et au gré de nos différents projets communs à Patrice et à moi, nous en sommes venus à Arthur.
Quel est votre univers ?
Mon univers, c’est plutôt le monde souterrain des lutins, des fées, des trolls. J’ai une grande admiration pour toute cette mythologie qui me parle plus que la science fiction par exemple. C’est la raison pour laquelle je ne participe pour ainsi dire pas aux projets SF de Patrice car c’est un univers que je n’arrive pas saisir. J’adore les films comme Star Wars et Alien, mais je suis totalement incapable d’écrire sur ces sujets-là car je n’ai pas cette fibre. Je suis plutôt du côté terrien, ancré, et plus dans le passé que dans le futur. Et puis, j’ai la chance d’avoir gardé un regard d’enfant, ce qui fait que j’aime raconter des histoires de nounours, de poupées, etc… Mon univers à moi, c’est donc plus l’univers de l’enfance avec tout le côté merveilleux que cela peut sous-entendre. J’ai du mal à rentrer dans des choses un peu plus sombres.
Du projet initial de lettres d’amour au film, quelle a été votre implication dans l’aventure d’Arthur ?
C’est moi qui avait écrit ces lettres que nous avons proposées. C’était une envie, au travers de l’univers créé par Patrice, avec ces petits êtres dans le jardin, de raconter de mini-histoires sous forme de lettre d’amour autour de ces petits personnages. Et lorsque nous avons proposé cela à Intervista, Pascal Parisiot, qui dirige cette maison d’édition, a montré ce livre à Luc qui a tout de suite eu un flash sur les personnages de Patrice. Il nous a demandé de venir le rencontrer et nous a dit qu’il avait envie d’en faire un film. A nous, alors, de lui raconter une histoire. On est rentré à la maison un peu secoué par la proposition car on ne s’attendait pas du tout à cela. « Qu’est-ce qui nous tombe sur la tête ? » C’était terrible sur le moment car on se demande si on est à la hauteur de cela. Et finalement on s’est dit : « qu’est-ce qu’on risque à proposer une histoire. Si elle plaît à Luc, tant mieux, sinon tant pis. » C’est donc ce que j’ai fait. J’ai repris un personnage d’une histoire que j’avais écrite et je l’ai développé autour d’Arthur. Mon travail par rapport au film a donc été d’apporter un premier jet, un premier séquencier avec Arthur, sa grand-mère, une course au trésor à travers un univers fantastique qui est celui des lutins. Il est vrai qu’à l’époque ils ne s’appelaient pas les Minimoys. C’est Luc qui les a appelés comme cela car il voulait en faire une race bien déterminée. Pour moi, au départ, ils n’avaient pas de nom. C’était simplement le monde souterrain, avec une quête plutôt souterraine elle-aussi, pour arriver jusqu’au trésor. En en discutant avec Luc, il l’a alors replacée à la surface, dans le jardin, alors que moi j’étais dessous. Luc a aussi ajouté des personnages qui lui tenaient à cœur. La rencontre des deux a donné l’histoire que vous connaissez aujourd’hui.
Chacun y a mis de sa propre vie, et de son entourage. Patrice nous a parlé de Julien par exemple.
C’est mon filleul, le fils de ma petite sœur. On s’est toujours beaucoup inspiré de notre entourage le plus proche pour nos projets. D’ailleurs, pour une des BD de Patrice, les personnages étaient nos parents et nous qu’on avait pris en photo et on s’était éclaté à mettre nos visages dans la BD ! C’est notre façon de travailler.
Est-ce que Gabriel est présent ?
Absolument, car toutes ces lettres d’amour que j’ai pu écrire au début s’adressaient à lui essentiellement. Et lorsque j’ai repris Arthur, j’ai tout simplement raconté ce que j’ai vécu au travers de mon fils. La grand-mère, c’est la mienne. Et ce petit garçon un peu introverti, un peu réveur, mais aussi un peu casse-cou, aventurier, du genre « je mets les mains dans la terre », c’est bien sûr Gabriel. Je crois cependant que ce sont des traits communs à pas mal de petits garçons qui ont la chance de pouvoir jouer dans un jardin. Ils rentrent vite crottés ! Mais Gabriel reste pour moi mon sujet de prédilection.
Dans ces conditions, est-ce que Sélénia est un personnage de votre entourage ou votre vision de la princesse de conte de fée ?
Sélénia, c’est la princesse guerrière. C’est loin d’être la princesse en robe brillante avec de jolis diadèmes. Dans notre travail à Patrice et à moi, on a toujours mis en scène des princesses plutôt guerrières. Et c’est d’autant plus vrai que Sélénia est en plus celle qui veut être plus forte que les garçons. Mais cela, c’est plus un souvenir de ce que j’ai vécu dans mon adolescence, mon côté un peu garçon manqué. De tout manière, je crois que tous les personnages que je travaille ou dont je parle sont en lien direct avec ce que j’ai vécu, avec mon entourage ou mes souvenirs. Ils viennent de ce qui m’amuse, ce qui me fait rire, des amis de mon fils, qui viennent à la maison, que je vois grandir et bouger. Tout cela vient de mon observation. Sélénia, c’est aussi un personnage que Luc a beaucoup aimé, auquel il s’est énormément attaché et à qui il a donné une part de ce qu’il connaît. Je crois savoir qu’il l’a fait ressembler à l’une de ses filles. Cette histoire a beaucoup parlé à notre côté papa-maman. Mon côté maman a beaucoup parlé, mais je crois que cela a réveillé en Luc ce côté-là, en plus de ses propres souvenirs d’enfance. C’est cela qui est génial sur ce projet !
Sélénia n’aurait-elle pas un petit côté Leeloo, du Cinquième Element ?
Là, je ne m’avancerai pas car nous n’en avons pas parlé avec Luc. C’est vrai qu’elle ressemble d’une certaine façon à Leeloo, mais je crois surtout qu’elle ressemble aux personnages féminins de Luc en général, ces femmes battantes, ces femmes d’apparence fragile, mais qui à l’intérieur sont des guerrières. C’est un trait récurrent chez ces héroïnes, féminines à l’extérieur, mais qui bouent à l’intérieur. Pour moi, il y a du Leeloo dans Sélénia, mais on peut y reconnaître du Nikita, et même une forme de Jeanne d’Arc.
Comment se passe le travail en couple ?
Avec Patrice, c’est extraordinaire. On s’apporte beaucoup. On a découvert au début de notre rencontre qu’on avait beaucoup de choses en commun, notamment au niveau de nos imaginaires, et depuis le début, on se raconte des histoires tous les deux. Des histoires de guerriers, de fées,… C’est d’ailleurs comme cela que tout a commencé. J’avais 19 ans, on est allé boire un thé près de chez nous et on a commencé à se raconter l’histoire d’un lutin qui est devenu le héro de notre première BD. C’est vrai qu’on partage beaucoup de choses. Patrice me demande souvent mon avis sur ce qu’il fait et vice versa. Lorsque j’ai envie de raconter une histoire, je la lui raconte à lui d’abord, et si elle lui plaît, si elle le touche, pour moi, c’est déjà gagné. Si je peux partager cela avec lui, c’est génial. Mais il est vrai que travailler à deux ce n’est pas toujours évident car on peut avoir l’impression que l’autre vit des choses plus fortes que vous. C’est ainsi que Patrice a été beaucoup plus présent que moi sur Arthur, ce qui fait que je l’envie un peu. Mais en même temps, il me ramenait des tas de choses et il me racontait tout, ce qui fait que je n’étais jamais bien loin.
Vous qui êtes à la fois scénariste et plasticienne, qui êtes donc passée par toutes sortes de formes d’expression, quel bilan tirez-vous de cette énorme expérience cinématographique ?
C’est une question difficile. Cela m’a très certainement ouvert de nouveaux horizons et m’a donné envie d’aller plus loin. De continuer à raconter des histoires et d’aller plus loin dans ce que j’aime raconter. Cela m’a donné confiance, aussi. Mais la chose qui m’a le plus touchée dans cette expérience, ce sont les larmes de joie de ma sœur quand nous sommes allés à l’avant-première de Toulon, le 10 décembre dernier. Il est vrai que j’ai beaucoup de chance car Luc est certainement l’un des plus grands réalisateurs qu’on ait en France, quelqu’un qui aime prendre des risques, aller au delà de ce qui lui est proposé et qu’il m’a fait confiance. J’en suis très fière et je ne le renie absolument pas. Mais au-delà de la rencontre et du partage avec Luc, ce qui m’arrache une larme et un sourire à la fois, c’est ma famille, ce qu’ils ressentent au travers de tout cela, mon papa qui me prend dans ses bras, qui ne me dit pas un mot tandis que je sais ce qu’il a dans son cœur. C’est cela qui me pousse, qui me fait vivre. C’est aussi mon fils, qui avait 9 ans quand on a démarré, qui était un petit bout de chou, et qui en a aujourd’hui 15, pour 1m 83 ! Lui qui me regarde avec son air fier et qui me fait son sourire en coin de l’air de dire : « c’est bien maman ».
Est-ce que cette expérience vous a donné envie de travailler avec d’autres réalisateurs ?
Pour moi, rien n’est acquis. Je suis encore moins sûre demain de refaire quelque chose car cette proposition tenait déjà du miracle. Continuer le rêve, ce serait continuer à raconter des histoires pour le cinéma. J’espère qu’un jour quelqu’un aura envie de faire appel à moi, mais je pense en même temps avoir les pieds sur terre, et je me dis que pour pouvoir continuer il faut se battre comme tout le monde car c’est un milieu où il y a beaucoup de gens de grand talent. Aujourd’hui, Arthur vit, Arthur existe en dehors de moi, il fait le tour du monde, il visite des pays où je n’irai jamais. Pour ma part, il faut rester humble, rester zen.
Quelles autres personnalités pourraient donner vie à votre univers ?
Je pense avant tout à Jean-Jacques Annaud. Rien que de rencontrer un tel monsieur, ce serait déjà extraordinaire ! Maintenant, seul lui pourrait me dire si mon univers pourrait se rapprocher du sien. Si je continue le rêve, après avoir travaillé avec Luc Besson, travailler avec Jean-Jacques Annaud, ce serait « voir Venise et mourir » ! Je ne sais pas si j’aurais le courage de faire ce genre de chose, mais qui ne risque rien n’a rien. On est toujours sûr du non, le oui est un cadeau, un miracle.
Quel est LE Jean-Jacques Annaud qui vous a touché ?
Le Jean-Jacques Annaud que j’aime, c’est celui qui travaille le silence. Celui qui est capable de poser sa caméra, de filmer et de nous faire rentrer dans un univers sans qu’il y ait besoin de texte, de mot. Celui qui est capable de nous prendre et de nous transporter au travers de sa caméra dans un univers unique. Prenez la Guerre du Feu : il prend le temps d’observer, de s’arrêter sur les choses. C’est fabuleux d’être capable de raconter des histoires au travers du silence. Un silence qui n’est jamais vraiment un silence, car on entend des bruits de fond, on entend la vie autour. Mais il n’a pas besoin de mots ou de grande phrase. J’admire cela. Il faut être très fort pour raconter les choses sans les dire.
Qu’aimeriez-vous lui dire si vous le rencontriez ?
Ce serait « Merci ! ». Parce que c’est ce genre de monsieur qui donne envie de raconter. Parce qu’il a un univers, une narration et une façon de raconter les choses qui sont d’une pureté et d’une clarté indiscibles. Alors, oui, merci monsieur Annaud de nous raconter sans nous dire !
Comment réagiriez vous face à lui ?
Rires. Je serais dans mes petits souliers. Si vous voulez voir quand je me transforme en petite fille, avec le rouge aux joues, les genoux qui tremblent, les yeux baissés qui regardent par terre, ou en train de chercher un endroit ou ficher le camp… Mais c’est aussi de cette manière là que j’ai rencontré Luc Besson. Avec les genoux qui tremblaient, je me demandais : « Mon Dieu qu’est ce qu’il va me dire, comment cela va se passer ? ». Alors on croise les doigts en priant très très fort d’être à la hauteur…
Comment Luc Besson a-t-il réagi devant cette émotion ?
C’est quelqu’un de génial à ce niveau-là. Il a été très touché par mon émotion et m’a souri tout de suite en me disant que tout allait bien se passer. Ce n’est pas quelqu’un qui pourrait profiter de cette situation d’intense émotion. Au contraire, il va être à l’écoute et va vous rassurer. Vous avez l’impression d’être en face d’une personne que vous n’auriez jamais imaginé rencontrer, vous ne faites que bafouiller, vous ne trouvez plus vos mots, vous avez un QI de moule, et il rattrape très vite cela presque en vous prenant la main et en vous disant que tout va bien. Alors vous respirez et c’est génial : tout se passe dans la douceur. Au-delà du projet, vous partagez aussi un moment avec une personne incroyable.
C’était à quelle occasion ?
C’était le jour où il nous avait donné rendez-vous pour parler de ce fameux livre et de ce que lui avait envie de faire exactement. On arrive là en plus avec l’appréhension de ce qu’il pourrait vous dire. Est-ce qu’il a aimé, est-ce qu’il n’a pas aimé? Et en fait, c’est quelqu’un de très gentil ! Ca a l’air idiot de dire que quelqu’un est gentil, mais pas du tout. C’est quelqu’un d’accueillant et qui vous écoute. Et même si ce que vous lui racontez ne lui plaît pas, il ne va pas vous faire peur en tapant du poing sur la table. Non, c’est quelqu’un qui ne vous surprotège pas parce que vous êtes sensé être un professionnel ou tout au moins un adulte. Mais il est très respectueux et il ne vous enfoncera jamais un couteau dans le cœur.