Lalo Schiffrin, Robert Drasnin, Jerry Fielding, Gerald Fried, Benny Golson, Richard Markowitz, Neil Argo, John E. Davis, Ron Jones, Danny Elfman, Hans Zimmer : autant de compositeurs de renom qui ont marqué la saga MISSION : IMPOSSIBLE.
Vous venez d’accomplir brillamment votre première mission : reprendre le flambeau de cet impressionnant héritage et aller plus loin encore en composant une musique d’exception pour MISSION : IMPOSSIBLE 3.
Pour vous superviser sur cette mission, vous avez retrouvé votre complice J.J. Abrams, qui a créé avec vous les séries ALIAS et LOST et qui réalise aujourd’hui ce troisième opus cinématographique.
Votre nouvelle mission, si vous l’acceptez, sera de révéler tous les secrets de votre musique aux lecteurs d'Inter-activities : les origines du projet, les détails de la partition et de sa production, les liens avec vos autres musiques, et en particulier avec LOST, dont un cd des plus grands moments de la première saison vient justement de sortir.
Comme toujours, si vous accomplissez cette mission avec brio, le comité de rédaction d'Inter-activities se fera un plaisir de publier ces informations au grand jour.
Attention : ce document ne s’autodétruira pas dans cinq secondes. C’est l’intro de l’article de Christine & Jérémie. Ce serait trop bête de la supprimer !… »
MISSION : IMPOSSIBLE – 40 ANS APRES…
Le 17 septembre 1966 débutait sur CBS une série d’anthologie à nulle autre pareille, dotée d’intrigues sophistiquées, mettant à l’épreuve les nerfs du public et surtout ses facultés intellectuelles. Une série inédite dans laquelle les héros piègent avec une habileté machiavélique une stupéfiante brochette de « méchants » dans des joutes à rebondissements si serrées que la moindre seconde d’inattention plonge le téléspectateur dans une perplexité infinie.
Dès le pilote, la série s’annonce comme particulièrement originale et difficile. Du point de vue de l’écriture, d’abord : il faudra inventer pour chaque épisode une nouvelle intrigue, de nouvelles arnaques, tout en respectant scrupuleusement les canons très stricts définis par Bruce Geller, créateur de la série. Du point de vue de la préparation, ensuite : les gadgets, pour la plupart inédits, exigent une longue mise au point car ils doivent être parfaitement crédibles, fonctionnels et maniables en temps réel. Du point de vue des maquillages, aussi, qui prennent un temps considérable. Du point de vue du tournage, enfin: les épisodes, très découpés, contiennent deux fois plus de plans qu’une série ordinaire et abondent en inserts et effets spéciaux nécessitant l’intervention de deux équipes additionnelles.
Mais peu importe. Malgré des débuts aux résultats peu encourageants, la tenacité de son créateur et de William Paley, président de CBS, se soldent par six nominations et quatre victoires aux Emmy Awards de mars 1967.
Le mythe était lancé et pour pas moins de sept saisons sans la moindre baisse de régime. Largement diffusée en « syndication », et périodiquement reprise, la série a su conquérir le monde entier. Ses formules rituelles, son thème musical signé Lalo Schiffrin, tout cela participe désormais de notre culture, et l’on ne compte plus les parodies, les emprunts et les détournements qu’elle a inspirés.
En 1988, 171 épisodes plus tard, naissait la seconde mouture de la série, MISSION : IMPOSSIBLE – VINGT ANS APRES sur le réseau ABC, avant de donner lieu, trente ans exactement après la création de l’IMF (Impossible Mission Force) au premier opus d’une trilogie cinématographique à venir.
Nouveau succès. Le film ne se contente pas de donner un nouvel habillage, plus dynamique, plus actuel, à la série, de l’enrichir d’effets spéciaux, de cascades, de moyens et de décors spectaculaires. Il fait naître une nouvelle équipe, et pour la première fois, inscrit le drame en son sein, en inventant de nouveaux rapports personnels, des tensions, des amours, des morts, des doutes, … Un tournant qui s’affirmera autour de la personnalité toujours plus développée d’Ethan Hunt/Tom Cruise, comme ce sera le cas sur le deuxième volet cinématographique signé John Woo.
Le passage du petit au grand écran permet aussi l’ouverture vers un nouvel univers musical, marqué par l’arrivée de Danny Elfman, toujours aussi à l’aise dans le mélange de la pop et du symphonique, et de Hans Zimmer, plus sensuel que jamais avec la guitare d’or et de feu d’Heitor Pereira…
Aujourd’hui, avec J.J. Abrams et Michael Giacchino, c’est un pas de plus qui est franchi. A leur image, c’est par un retour aux sources que nous commençons notre aventure. Pour mieux créer l’avenir…
« A QUI SAIT BIEN AIMER, IL N’EST RIEN D’IMPOSSIBLE »
Difficile de ne pas songer à Ethan Hunt et à ses amours menacées dans MISSION : IMPOSSIBLE 3 à la lecture de ces mots tirés du Médée de Pierre Corneille.
Difficile, aussi, ne pas être impressionné par le chemin parcouru par la série depuis sa création.
Qui aurait pensé qu’un Tom Cruise pourrait à ce point ébranler les schémas établis depuis tant d’années pour nous emporter cette fois dans une aventure la plus explosive qui soit, mais aussi la plus intime, touchant à ce qu’Ethan Hunt, voyageur sans port d’attache, a pourtant de plus cher : son amour ? Et pourtant, c’est à ce spectacle sans précédent que nous invite ce troisième volet de la saga, plus « impossible » que jamais !
Dilemme, action, sentiments extrêmes, nous sommes bien dans le domaine de prédilection de Michael Giacchino, toujours au sommet de sa forme !
Comment avez-vous reçu votre ordre de mission pour la composition de la musique du film?
Michael GIACCHINO) J.J. Abrams et moi sommes complices depuis quelques années maintenant, depuis ALIAS et LOST. Nous aimons travailler ensemble et nous sommes de bons amis. C'est donc tout naturellement qu'il a fait appel à moi, d'autant plus que le genre se situait dans la continuité de nos précédentes collaborations, si ce n'est à un niveau plus élevé.
Comment avez-vous réagi à sa demande?
MG) J'étais vraiment très heureux. Je dois dire que je suis un grand fan de la série originale. De plus, j'adore les défis, et me retrouver dans la lignée des remarquables partitions de mes prédécesseurs, Danny Elfman et Hans Zimmer sur les deux longs-métrages en était un de taille! Mais le plus important pour moi, c'est simplement le plaisir de travailler avec J.J. C'est formidable d'être ainsi le spectateur privilégié de son évolution, le passage de son savoir-faire de la télévision au grand écran. J'estime que ma plus grande chance, c'est de pouvoir travailler avec les deux meilleurs raconteurs d'histoires de notre époque, J.J. et Brad Bird. C'est le genre de personne dont on n'attend qu'une chose, c'est de voir ce qu'ils vont inventer d'encore plus fou à chaque fois.
Avec J.J. Abrams, vous vous êtes en effet retrouvés l'un et l'autre en terrain connu.
MG) En effet, et ce dès la musique temporaire. Nous avons pioché largement dans mes œuvres : ALIAS, LOST, CALL OF DUTY, etc. Le but de cette musique temporaire était dès le départ d'utiliser le maximum de choses de moi. Ce fut d'ailleurs un gros avantage car, pour écrire ma musique, je n'avais pas à essayer d'être quelqu'un d'autre. Je pense vraiment que cela aide à donner un cachet unique à une musique de film, au lieu de vouloir imiter la musique d'un confrère choisie pour la partition temporaire. C'est ce qu'il y a de génial de travailler avec J.J. : il m'a donné carte blanche pour faire tout ce que je pouvais estimer être bon pour le film. Il m'a donné une liberté rare dans ce métier. Et c'est comme cela qu'il travaille avec l'ensemble de son équipe. Il fait confiance aux gens et leur permet tout simplement de faire leur métier comme ils savent le faire et ainsi d'exercer leur talent et leur créativité dans les meilleures conditions sans avoir les mains liées comme c'est le cas parfois.
Peu de temps après la semaine d'enregistrement de la partition du film, nous vous retrouvons de nouveau en studio pour enregistrer deux nouveaux morceaux. Vous travaillez à un rythme d'enfer!
MG) Pour ce film, tout, de la musique aux effets spéciaux, en passant par le montage, a été fait en même temps, en raison d'un timing extrêmement serré. La conséquence de ce mode de travail, c'est qu'il y a souvent des changements de dernière minute, des choses à refaire au dernier moment. Mais cela fait partie du jeu et je n'ai aucun problème avec cela. Je sais que J.J. et son équipe travaillent ainsi d'arrache pied pour que tout soit parfait à temps, et c'est la même chose pour nous, du côté de la musique. Par moments, c'est vraiment de la folie, mais je reste cool!
L'un des passages obligés de la saga consiste à arranger le fameux thème de Lalo Schiffrin. Comment l'avez-vous abordé?
MG) Par un déjeuner avec le compositeur! Ce fut un grand moment pour moi. C'est quelqu'un de formidable qui, pour tout conseil m'a simplement dit de faire ce que j'avais envie de faire avec son thème! C'est vraiment un musicien très ouvert et très intéressant. J'ajoute que, pour MISSION IMPOSSIBLE 3, je n'ai pas seulement utilisé le thème principal, mais également un autre thème de la série, The Plot. Ce fut une occasion passionnante de renouer avec cet héritage et de l'associer à un nouveau matériel. Je pense notamment à mes thèmes originaux, qui, je l'espère, sonneront suffisamment bien à côté des siens.
Cette association d'ancien et de moderne avait déjà fait sensation dans LES INDESTRUCTIBLES.
MG) Et tout comme pour le film de Brad Bird, la partition de MISSION IMPOSSIBLE 3 est totalement orchestrale. On n'y trouve ni électronique, ni loops d'aucune sorte. Tout est live. Cependant, il ne s'est pas agi de refaire la musique de la série originale. Même s'il y a des clins d'œil ici et là à Lalo, ma partition est très différente.
En effet, et cela se ressent dès votre arrangement du thème de Lalo Schiffrin, très différent de ce qu'ont fait vos confrères.
MG) J'ai eu beaucoup de plaisir à le faire car le film est beaucoup plus sombre que ses prédécesseurs. Il s'agit d'une histoire très grave, une confrontation entre deux individus. De ce fait, il ne s'agit pas de développer des gadgets incroyables ou d'aller désamorcer une bombe nucléaire… C'est une histoire humaine, ce qui est très rafraîchissant. Avec ce film, les personnages redeviennent le principal ressort du film. Le thème original est plutôt triomphant, toutefois, de notre côté, nous avons pris le parti de le rendre plus sombre. C'est toujours un bon gros film d'action, mais nous avons voulu souligner le fait qu'il renferme en même temps des éléments plus sérieux. Le challenge, c'était de faire coïncider les thèmes originaux et mes idées, le tout en tenant compte des besoins spécifiques du film.
En donnant des couleurs pop à leur arrangement, Danny Elfman et Hans Zimmer ont relativement atténué ce qui faisait tout le côté avant-gardiste de ce thème à l'époque, à savoir sa mesure irrégulière à 5/4.
MG) N'ayez pas d'inquiétude : la mesure à 5/4 est bien présente ici! D'ailleurs, cet aspect contamine l'ensemble de la partition, remplie de mesures très différentes: 5/4, 9/8 ou encore 5/8. J'ai tenu à ce que cette dimension originale soit bien là et bien identifiable.
Ce générique original avait quelque chose de très avant-gardiste, de très expérimental. C'est aussi le sentiment que l'on a à l'écoute de votre musique pour LOST, notamment.
Pour moi, la musique de MISSION IMPOSSIBLE 3 est un peu au croisement de celles d'ALIAS et de LOST, mais sur une plus grande échelle. Ne serait-ce que par la taille de l'orchestre, de 112 musiciens!
Qu'entendez-vous par croisement?
MG) On retrouve dans MISSION IMPOSSIBLE 3 le traitement très rythmique des cordes et des cuivres d'ALIAS. De l'autre côté, l'approche musicale de LOST est beaucoup plus expérimentale, et l'on retrouve également cet aspect dans ma partition. Ce fut d'ailleurs très intéressant d'essayer de marier ces deux approches dans un seul morceau, l'énergie rythmique et le côté expérimental.
Le passage du premier film au deuxième, davantage focalisé sur d'Ethan Hunt, a permis à Tom Cruise de considérablement développer et approfondir son personnage. Et l'on s'aperçoit que c'est encore davantage le cas sur ce troisième opus.
MG) En effet, la personnalité d'Ethan Hunt est ici considérablement enrichie. A ce propos, je voudrais dire que la partition de MISSION IMPOSSIBLE 3 ne comporte que très peu de musique triomphante. La raison en est que les enjeux de l'intrigue sont très élevés et que, par conséquent, il n'y a pas une minute à perdre, pas le temps d'être triomphant. La musique d'Ethan est plutôt nerveuse, agressive. Elle le pousse sans cesse, car le film est comme une bombe à retardement géante.
Absence d'héroïsme ne veut pas dire pour autant absence de cuivres.
MG) Oh non, pas de souci de ce côté-là, mais le fait est que le traitement est moins classique, plus agressif que véritablement bombastique.
Le thème d'Ethan se double d'un magnifique Love Theme, qui lève le voile sur une dimension méconnue de votre art.
MG) Le travail sur le personnage d'Ethan m'a en effet conduit à écrire un grand thème d'amour pour lui et sa fiancée. Cela a permis un contraste intéressant avec l'univers très "film d'action" de la saga. C'est une musique très orchestrale, principalement axée sur l'ensemble des cordes, avec un piano discret. C'est l'un des morceaux que je préfère dans cette partition. Cette histoire d'amour apporte un équilibre bienvenu dans ce film très agité! J'ai beaucoup apprécié que le film fasse une place à cet aspect, chose rare dans le genre.
Cependant, notamment à travers le retour de Luther, on garde bien la notion d'équipe propre à l'identité de la saga originale.
MG) Exactement. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce qu'il y ait un thème propre à l'IMF. Même si ce nouveau film se concentre sur un aspect de la vie d'Ethan Hunt que l'on n'avait encore jamais vu, il ne faut pas oublier que l'autre aspect fondamental de ce film se rapporte à cette équipe et à l'esprit qui l'anime. Par conséquent, à chaque fois que c'était possible, à chaque fois que cela donnait du sens au film, j'ai voulu que mon thème souligne le lien unissant tous les membres de cette équipe, car c'est ce lien qui leur permet d'arriver à leurs fins. Encore une fois, c'est cet aspect humain qui m'a le plus intéressé dans ce film. Cela n'enlève rien au fait que MISSION IMPOSSIBLE 3 renferme certainement les scènes d'action les plus incroyables jamais réalisées, avec une musique idoine, mais vous me connaissez maintenant, et savez ce qui m'intéresse le plus dans les histoires que je mets en musique.
Les percussions sont toujours très présentes dans vos partitions, et plus spécifiquement le bongo, ici.
MG) Nous avions pas moins de huit percussionnistes sur cette musique. Il y avait évidemment la batterie, mais également les tambours taiko, pas mal de métallophones ainsi que toutes sortes d'instruments exotiques, notamment des bâtons de bambou. Mais surtout, comme vous le soulignez, j'ai beaucoup utilisé le bongo. On le retrouve aussi bien dans les scènes d'action que dans les scènes calmes. Il permet de conserver une certaine attention et une certaine tension d'un bout à l'autre de l'histoire, et même d'augmenter cette tension dans les scènes les plus intenses et les plus agitées. Au lieu d'avoir des samples technos, je préfère de beaucoup des percussions plus organiques. C'est en tout cas ainsi que je ressens les choses.
C'est une sorte de signature sonore…
MG) En effet, c'est une sorte de signature pour le film, mais plus généralement pour le genre. Le bongo apparaît toujours plus ou moins dans les films d'espions, et MISSION IMPOSSIBLE 3 est vraiment un film de genre et je ne voulais pas perdre cet aspect. De ce fait, même si nous avons voulu renouveler le genre, nous n'avons pas souhaité pour autant supprimer ce type d'éléments forts qui font sa personnalité. Il ne fallait pas se couper du passé, mais bien plutôt lier le passé au futur.
Au-delà du traitement des personnages principaux, votre partition est remarquablement dense et structurée du point de vue thématique.
MG) J'essaie au maximum de faire en sorte que chaque section du film, et donc chaque morceau, ait son propre motif, développé de façon spécifique à l'intérieur de cet espace. De cette façon, il est possible de véritablement ancrer la musique dans le film et de faire en sorte que chaque section soit nettement différenciée, identifiée du point de vue musical. A terme, je voudrais qu'à l'écoute de chaque morceau on puisse se souvenir exactement ce qui se passe à l'écran. Quand j'écoute la musique de STAR WARS, je me souviens par exemple que tel motif est utilisé pour l'attaque l'Etoile de la Mort et pour certaines raisons, on ne travaille plus comme cela aujourd'hui. La musique des films d'action est devenue plus générique. Or je pense que ce n'est aucunement une obligation. On peut tout aussi bien être thématique dans une musique d'action. C'est cet aspect qui me manque beaucoup dans les musiques d'actions actuelles et avec lequel j'ai voulu renouer ici.
Tout comme la CIA dans ALIAS, l'IMF envoie ses agents aux quatre coins du monde, et c'est notamment au compositeur de la musique de nous plonger dans ces univers exotiques.
MG) Ce fut également le cas sur MISSION IMPOSSIBLE 3, mais pas énormément car j'ai estimé que le temps passé à expliciter musicalement la situation exotique d'une séquence pourrait distraire de ce qu'il y a de plus important : l'histoire. Certes, certaines percussions aident à situer certaines scènes géographiquement, mais je n'en ai pas fait une priorité.
Nous avons été frappés par la quasi absence de chansons dans ce film.
MG) C'est exact. Il peut y avoir quelque chose dans le générique de fin ou encore en toile de fond dans la scène de la fête au début du film, mais c'est tout. Tout le reste n'est que musique, et je trouve que c'est vraiment bien!
Merci à Jérémie NOYER.
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